Fiora et le roi de France
seyant à un
ambassadeur de France. Derrière lui, elle vit voguer sur la foule certain
bonnet plat surmonté d’une plume de héron qui accéléra le rythme de son cœur.
Se pouvait-il que Douglas Mortimer fût aussi du voyage ? Pourquoi pas, après
tout ? Louis XI tenait trop à son jeune conseiller pour l’aventurer sans
garde solide dans cette Italie turbulente. Et quelle garde pouvait être plus
solide, plus efficace que le sergent la Bourrasque ?
L’envie
lui prit, brusquement, d’aller rejoindre ses amis, mais elle ne pouvait s’immiscer
dans l’ordonnance rigoureuse des cérémonies. Il fallait rentrer au palais
Albizzi pour le repas du milieu du jour, en compagnie de ser Lodovico qui ne
cessait de grogner sur la futilité de manifestations mondaines gâchant un jour
que le Créateur avait, de toute évidence, spécialement destiné aux joies
austères de la science. Il était d’autant plus grincheux qu’il avait dû troquer
son sarrau de toile verte, si commode, pour une superbe robe d’épaisse soie
écarlate bordée de martre noire, en dépit de la saison, et d’un chaperon de
même étoffe dont un pan s’enroulait gracieusement autour de son cou. Une lourde
chaîne d’or terminée par une chimère complétait une tenue que, de toute
évidence, il détestait :
– Passe
encore pour l’hiver, mais ce soir j’aurai tellement transpiré que ma chemise et
ma peau seront du même rouge que cette fichue robe !
– Tu
pourras la retirer pour faire la sieste et j’ai donné ordre à Colomba de mettre
à rafraîchir le vin que tu préfères, fit Chiara consolante. Et puis tu ne
trompes personne, oncle Lodovico. Tu es trop Albizzi pour te montrer autrement
que vêtu selon ton rang.
En
dépit de la chaleur, il fit grand honneur au repas composé de melons et de
fegatelli, petites saucisses de foie aux herbes qu’il arrosa de quelques
rasades de chianti. Un festin qui l’obligea à prendre quelque repos dans la
fraîcheur de sa chambre en attendant l’heure d’aller dans l’une des tribunes d’où
les notables de la ville contempleraient la course du Palio [iii] .
Après
la matinée, réservée aux corporations qui donnaient à Florence sa richesse, l’après-midi
appartenait aux différents quartiers de la ville dont les champions s’affrontaient
en une course de chevaux, montés sans selle et sans étriers, sur un parcours
préparé à l’avance. Le prix en était le « palio », une magnifique
pièce d’étoffe, la plus belle de toute la ville, que le Magnifique remettait au
vainqueur.
Chaque
quartier présentait quatre gonfanons sous les couleurs desquels couraient
quatre cavaliers. Les bannières du quartier San Giovanni (Saint-Jean) portaient
le Lion noir, le Dragon, les Clefs et le Petit-Gris ; celles de Santa
Croce le Char, le Bœuf, le Lion d’or et les Roues ; celles de Santa Maria
Novella la Vipère, le Lion rouge, le Lion blanc et la Licorne ; enfin,
celles de San Spirito, le quartier d’outre-Arno, l’Echelle, la Coquille, le
Fouet et la Chimère. Et tous ces gonfanons joyeusement colorés, avec leurs
servants et quantité de cierges, se formaient en procession jusqu’au
Baptistère.
Le
rassemblement s’opérait devant la Seigneurie, revêtue de sa parure des grandes
fêtes. Le Vieux Palais gris était tout bruissant de bannières et de soieries.
Entre ses créneaux, des mâts dressaient dans le ciel bleu les emblèmes des
villes vassales, celui de Florence occupant le sommet de la tour comme il
convenait à une reine. Tout autour de la place où l’on avait dressé des tours
de bois doré représentant les cités vassales ou alliées, les fenêtres
crachaient des flots de brocarts ou de tapisseries. Le pavé, lui, ressemblait à
une prairie au printemps avec le bariolage des costumes de gala et des
gonfanons. Un large espace vide marqué par des cordes de soie, coupait la place :
le passage où galoperaient tout à l’heure les cavaliers. L’air était à la joie,
à l’excitation des paris échangés autour des porteurs des immenses gonfanons.
Ceux-ci faisaient danser et voler, en dépit du poids, les lourdes étoffes
peintes et brodées.
Sur la
place du Duomo où les grandes portes de bronze doré du Baptistère laissaient
voir la forêt de cierges qui l’illuminait, le spectacle était différent. Là s’élevaient
les tentes chatoyantes des propriétaires des chevaux qui allaient courir et,
tout autour, des mâts aussi hauts que les maisons
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