Fiora et le roi de France
portaient, en alternance, la
bannière blanche au Lys rouge de Florence et l’étendard bleu aux Lys d’or du
roi de France.
La
musique des grandes orgues, des violes, des flûtes, des hautbois et des
tambourins de la cathédrale, soutenant le chœur de sa maîtrise, emplissait la
place et, de chaque côté de l’archevêque dont deux diacres tenaient ouverte la
chape d’or, des acolytes balançaient des encensoirs d’argent. Ceux-ci devaient
être remplis à ras bord, car les épaisses volutes de fumée qui s’en échappaient
montaient jusqu’à la grande tribune rouge où Fiora et les Albizzi prirent
place, des places singulièrement proches des hauts fauteuils dans lesquels
allaient s’installer le Magnifique et son hôte privilégié.
Une
fois de plus, l’oncle Lodovico pestait. L’encens le faisait tousser – il n’était
pas le seul – et regretter plus vivement encore la fraîche vallée du Mugello.
Chiara finit par le réprimander :
– Cesse
donc de grogner, oncle Lodovico ! Tu as la chance d’escorter la plus jolie
femme de la ville et tu passes ton temps à regretter tes papillons ! Tout
le monde nous regarde.
C’était
vrai. Tous les regards étaient braqués sur Fiora, véritablement impériale dans
ses failles pourpres. Sur son passage, elle avait soulevé applaudissements et
compliments enthousiastes : « Longue vie à la plus belle ! »
- »Nous avions l’étoile de Gênes mais à présent celle de Florence brille d’un
éclat aussi vif ! » – « Heureux entre tous l’homme qui te
possède ! » Et même, clamé à pleine voix par un distrait ou quelque
ignorant des catastrophes que sa naissance irrégulière avait fait pleuvoir sur
Fiora, « Bénie soit entre toutes la mère qui t’a portée et t’a faite si
belle ! »...
Elle
répondait d’un sourire ou d’un geste gracieux de la main, heureuse de se sentir
si bien au cœur de ce peuple dont, mieux que personne pourtant, elle avait pu
mesurer la versatilité. Mais les nuages avaient fui, chassés par l’amour de
Lorenzo, et la ville entière, à présent, était prête à se prosterner à ses
pieds, comme elle se prosternait jadis à ceux de Simonetta. Le maître bien-aimé
l’avait élue, et c’était suffisant pour la couronner.
– Je
gage, dit Chiara avec satisfaction, que c’est toi qui remettras tout à l’heure
le palio au vainqueur.
– Tu
crois ?
– J’en
suis certaine, sinon pourquoi serions-nous placées au premier rang et toi
seulement séparée de Lorenzo par un court espace ? Et, ce soir, tu seras
la reine du bal !
– Passe
encore pour cet après-midi, mais ce soir, au palais Médicis, donc chez l’épouse
et la mère de Lorenzo, la situation pourrait être gênante.
– Voilà
une belle nouveauté ! Depuis la mort de Giuliano, les femmes de la famille
ne participent à aucune fête. Elles ont entendu la messe ce matin dans la
chapelle privée, car Madonna Lucrezia ne veut plus pénétrer dans le Duomo où
son fils a été assassiné... Tiens ! Voilà ton prince !
Les
longues trompettes d’argent ornées d’un pennon de soie aux armes des Médicis
sonnaient en effet et, entourés d’un brillant cortège, le Magnifique et son
hôte français se dirigeaient vers la tribune où chacun se leva pour les
applaudir. Ils se tenaient par le bras pour mieux souligner l’entente parfaite
entre les deux pays, et saluèrent de la main. Derrière Commynes, Fiora reconnut
Mortimer dont la haute taille dépassait la plupart des hommes présents.
Quelques archers de la Garde écossaise l’escortaient avec une suite qui
semblait assez nombreuse. Visiblement, le roi Louis tenait à ce que son
ambassadeur donnât une haute idée de sa puissance, et l’on disait que tout ce
monde avait été chargé de présents fastueux pour les amis florentins.
Parvenus
au bas de la tribune, ils s’arrêtèrent pour saluer à la ronde. Quand ils se
retournèrent pour gagner leurs places, Fiora vit leurs deux regards se fixer
sur elle avec une admiration qui la fit frissonner de joie. Celui de Lorenzo
brûlait de ce feu ardent qu’elle connaissait bien, mais le sourire de Commynes
n’atteignait pas ses yeux bleus qui semblaient empreints d’une sorte de
mélancolie...
– Il
doit penser, chuchota Chiara, qu’il est dommage pour la France de perdre si
belle dame ?
– Nous
sommes amis, et cette amitié il ne la perdra jamais. J’aime beaucoup messire de
Commynes, tu
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