Fiora et le roi de France
bouchées doubles ?
– Il
ne s’agit que d’une menace, Madonna. Le roi est trop sage pour vouloir courir l’aventure
et l’Italie ne l’intéresse qu’en fonction de ses bonnes relations avec Florence
et Venise. L’important pour lui, dans l’immédiat, est de savoir si la
Seigneurie et le peuple... et le clergé florentin sont décidés à se grouper
autour de Monseigneur Lorenzo pour affronter les épreuves que leur prépare
Sixte.
– Les
Florentins ne sont pas des lâches, s’écria Fiora d’une voix où vibrait tout l’amour
qu’elle portait en elle depuis l’enfance. L’excommunication de Lorenzo et des
prieurs a seulement augmenté leur indignation. Quant à la guerre, chacun ici
sait qu’elle va venir et s’y prépare. Ne vous laissez pas aveugler par la
gaieté de nos fêtes.
– La
guerre, oui... mais l’interdit [v] ?
– Le
pape n’irait pas jusque-là ? fit Démétrios.
– Nos
espions à Rome prétendent qu’il y pense sérieusement. Dites-vous bien que cet
homme, vraiment pieux cependant, est prêt à tout pour faire plier Florence,
abattre les Médicis et asseoir la fortune et la puissance de ses neveux. Que va
faire la ville, dans ce cas ? Se soumettre ?
– Sûrement
pas ! dit Démétrios. Une cité toute empreinte de philosophie grecque ne
saurait plier devant les foudres archaïques des siècles barbares. Et je peux
même vous prédire ce qui se passera si le clergé met à exécution les ordres du
pape : elle le chassera, le jettera hors de ses remparts comme autant de
bouches inutiles. Elle soignera ses malades et enterrera ses morts. De toute
façon, je serais fort surpris que l’archevêque obéisse...
– Il
y a plaisir à parler avec vous, Démétrios ! fit Commynes en riant. Tout se
tient, en effet, et l’archevêque va mettre ses espoirs dans ce concile que le
roi de France appelle de ses vœux. Je crois que cette guerre, si vraiment elle
éclate, ne durera pas très longtemps et que Monseigneur Lorenzo, prince sage et
habile s’il en fut, a devant lui de longues années de paix... mais assez parlé
politique ! C’est d’un goût déplorable après un repas aussi délicieux.
– De
quoi voulez-vous parler, alors, dit Fiora avec un sourire. La politique dévore
les trois quarts de votre vie.
– Parlons
de la vôtre et de votre avenir. Je vous ai dit tout à l’heure qu’à la maison
aux pervenches tout va aussi bien que possible en votre absence et que l’on
vous y attend anxieusement. Je suppose que vous avez hâte d’y retourner ?
– Grand-hâte !
J’ai tant pensé à eux durant tous ces mois. Mon fils ne me connaît même pas
puisque j’ai été enlevée peu après sa naissance. Je ne lui plairai peut-être
pas !
– Il
aurait bien mauvais goût, soupira Mortimer qui avait trop mangé et qui,
abandonnant la table, se mit à marcher à travers la grande salle fraîche. Mais
je ne suis pas inquiet de ce côté-là et vous, vous en serez folle : c’est
un beau petit bonhomme que le roi lui-même prend plaisir à venir voir. Il s’arrête
souvent au manoir en revenant de la chasse.
– C’est
vrai ? Il vient voir mon petit Philippe ?
– Eh
oui ! Vous savez quel souci il éprouve pour tout ce qui touche à
Monseigneur le Dauphin, lequel est de faible constitution et de petite santé ?
Alors, ce petit garçon sans père ni mère l’émeut profondément. Il joue un peu
au grand-père avec lui
– Qui
pourrait le croire si délicat et si attentif ? murmura Fiora émue. Je ne
suis pas certaine de mériter tant de bonté, mais je serai heureuse de le
revoir, lui aussi...
– Parfait !
Alors, quand partons-nous ? conclut joyeusement l’Ecossais.
On
décida que le départ aurait lieu la semaine suivante pour laisser à Fiora le temps
de mettre ses affaires en ordre et de prendre congé... ce qui ne pouvait se
faire avec une précipitation offensante pour le Magnifique. Elle et Commynes
quitteraient ainsi Florence le même jour, dans des directions différentes, lui
pour y revenir car le roi désirait qu’il demeurât aux côtés des Médicis pendant
les mois difficiles qui s’annonçaient, elle... sans trop savoir si elle
reviendrait un jour, car la décision en appartiendrait à Philippe.
Ses
hôtes redescendus en ville, Fiora prit Démétrios par le bras et l’entraîna au
jardin. En ce début d’été, il se trouvait dans la plénitude de son
épanouissement et, à caresser des yeux les
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