Fiora et le roi de France
ses deux mains, traçant dans l’espace une sorte de
pyramide à laquelle il appuya son nez, comme quelqu’un qui réfléchit
profondément.
– Je
n’en sais rien, soupira-t-il enfin.
Son
regard bleu, cherchant celui de Fiora de l’autre côté de la table, semblait
solliciter le pardon, mais la jeune femme n’était pas dupe de cette candeur
diplomatique. En fait, Commynes essayait de retarder une colère qu’il sentait
venir.
– C’est
impossible ! dit-elle froidement. Comment pourriez-vous ne pas le savoir,
vous qui savez toujours tout !
– Ne
me faites pas plus habile que je ne le suis, mon amie, ni mieux renseigné. Et
souvenez-vous que j’ai été exilé plusieurs mois. Tout ce que je peux vous dire,
c’est ce que le roi m’a chargé de vous apprendre : votre époux a reçu sa
grâce au moment où il allait mourir.
Démétrios
quitta la table pour aller prendre sur un dressoir un flacon de malvoisie dont
il emplit une grande coupe avant de la tendre à leur hôte :
– Un
point, c’est tout. Dit-il avec un demi-sourire.
– Voulez-vous
dire par là qu’une fois descendu de l’échafaud, on l’a simplement prié d’aller
se faire pendre ailleurs et laissé se perdre dans la foule ? Cela ne
ressemble guère au roi Louis.
– Non.
Bien sûr que non. Il a été ramené à la prison de Dijon puis, de là, transféré
ailleurs. Mais ne me demandez pas où, car je l’ignore. Notre sire se réserve de
vous le dire lui-même quand vous vous reverrez. Car, bien sûr, il vous attend.
Un
chaud sourire illumina le fin visage de la jeune femme. C’en était bien fini de
ses hésitations et de ses atermoiements. Une haute volonté décidait pour elle
et l’appelait vers ce qui ne pouvait être qu’un grand bonheur retrouvé.
– Ce
sera un plaisir de faire route avec vous. J’aime beaucoup votre conversation.
Douglas
Mortimer, qui pillait à la fois un panier d’amandes, une jatte de miel et une
coupe de raisins secs, se mit à rire :
– Il
faudra vous contenter de la mienne, donna Fiora. C’est moi qui suis chargé de
vous ramener. Et je ne suis même là que pour cela. Messire de Commynes continue
jusqu’à Rome.
– A
Rome ! Qu’allez-vous faire là-bas ? ... Si je ne suis pas indiscrète,
bien sûr.
– Du
tout. Il faut simplement comprendre. Vous trouver ici a été pour moi une grande
joie et un grand soulagement car ma mission s’en trouve simplifiée. J’avais l’ordre,
en effet, de vous chercher à Rome et de vous embarquer sur le premier bateau en
partance de Civita Vecchia, à quelque prix que ce fût. C’est ce qui explique la
présence de l’espèce d’armée que l’on m’a adjointe.
– Voulez-vous
dire, fit Démétrios, que vous alliez sommer le pape de vous remettre Fiora ?
– Exactement.
Le roi n’aime pas que ses envoyés disparaissent sans laisser de traces ou
soient victimes d’un climat malsain. De ce côté-là, tout est bien qui finit
bien, mais je n’en ai pas encore terminé avec Sa Sainteté.
– Le
roi de France offrirait-il ses bons offices pour apaiser le conflit entre Rome
et Florence ? ne put s’empêcher de demander Démétrios que les jeux de la
politique passionnaient depuis qu’il avait vécu auprès de Louis XI.
– En
aucune façon. Mon ambassade en Italie présente un double aspect politique :
assurer Florence du soutien et de l’aide de la France, et faire entendre au
pape le courroux de son roi. J’ai, pour celui-ci, une lettre qui devrait le
ramener à une plus saine compréhension des choses. Le roi lui explique que,
devant son attitude, il se propose de réunir le mois prochain, à Orléans, l’Eglise
du royaume, pour rétablir la Pragmatique Sanction [iv] jadis décidée à
Bourges sous le règne de Charles VII et réclamer la réunion d’un concile
général auquel il pourrait bien demander la destitution de Sixte IV. Enfin, le
roi souhaite que, dans sa haine pour Florence, le pape n’oublie pas le Turc !
Le danger grandit de ce côté !
Démétrios
fit entendre un léger sifflement :
– Eh
bien ! J’espère que vous en sortirez vivant ?
– Je
ne m’inquiète nullement. S’il m’arrivait malheur, notre sire entend ressusciter
ce vieux droit d’héritage au royaume de Naples et envoyer une armée pour l’enlever
aux Aragon. Une armée qui, bien sûr, passerait par Rome.
– Pour
un souverain qui n’aime pas la guerre, dit Fiora, on dirait qu’il cherche à
mettre les
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