Fiora et le roi de France
être aux aguets
dans la maison, débordante de questions et, justement, Fiora souhaitait rester
seule un moment afin d’essayer de tirer au clair cette curieuse visite. La
démarche de della Rovere lui semblait assez sotte. Il fallait, en effet,
connaître bien mal le roi Louis, cet homme secret dont on disait que son cheval
portait tout son conseil, pour imaginer un seul instant qu’il pût se laisser influencer
par les prières d’une femme, fût-elle l’objet de son amitié. D’autre part, il
était insensé de lui demander, à elle dont, apparemment, le cardinal n’ignorait
pas grand-chose, d’essayer de détacher la France de son ancienne alliance et de
ses amitiés.
Évidemment,
il y avait le cas de Catarina. Fiora était navrée de lui avoir causé des ennuis
dont, avec un homme comme Riario, on ne pouvait imaginer jusqu’où ils iraient.
Un accident est toujours possible et il ne resterait alors au pape qu’à pleurer
cette nièce à laquelle il était attaché.
La
mémoire de Fiora lui fit revoir le visage du cardinal au moment où il parlait
de Catarina : un visage tendu, un masque presque douloureux. Peut-être l’aimait-il
et, en ce cas, était-il prêt à toutes les folies pour lui venir en aide. N’avait-il
pas suggéré que Riario pouvait ne plus vivre très longtemps ? Si della
Rovere aimait sa cousine par alliance d’un amour sincère et anxieux, il
devenait beaucoup plus sympathique à Fiora et elle en vint à penser qu’après
tout, cette lettre qu’on lui demandait était peu de choses : il suffirait
de la tourner avec assez d’habileté pour qu’elle ne compromette pas Fiora. Et
puis, il y avait cette phrase mystérieuse que le visiteur avait refusé d’éclairer
et dont on parlerait « la prochaine fois »...
A cet
instant, Fiora regretta amèrement l’absence du roi. Eût-il été là qu’elle fût
allée tout droit au Plessis lui raconter les événements et lui demander
conseil. Ce maître diplomate, ce prince de toutes les astuces qui connaissait
mieux que quiconque l’art de rédiger lettres et traités aurait su comment agir
et il aurait certainement réussi à obtenir du prélat romain la révélation de ce
qu’il avait caché à Fiora. Mais le roi était loin et il fallait essayer de s’en
tirer seule.
Ce soir-là,
quand tout le monde fut couché et jusque tard dans la nuit, Fiora, assise dans
son lit, s’exerça à écrire une lettre capable de donner satisfaction à tout le
monde. Elle découvrit vite que la chose n’était pas facile. Le début allait de
soi, bien sûr : il s’agissait seulement d’adresser à Catarina une action
de grâce pour avoir permis à une mère de retrouver son enfant, en des termes
émouvants. Mais tout se compliquait dès qu’il fallait parler du roi et des
prières à lui adresser. C’était même tellement difficile que Fiora finit par
abandonner le problème. Elle rangea son écritoire, souffla sa chandelle et
laissa le sommeil s’emparer d’elle. Bien souvent, en effet, elle avait remarqué
que la réponse à une question épineuse lui était apportée au réveil.
Celui-ci
fut tardif car elle s’était endormie bien après minuit. En ouvrant les yeux,
elle aperçut Léonarde, postée au pied de son lit et lisant avec intérêt ses
divers essais.
– Vous
tenez vraiment à écrire cette lettre ? fit-elle. Vous devriez pourtant
vous souvenir de ce que disait ce diable de Démétrios : « Il faut
faire très attention à ce que l’on écrit et la sagesse consiste même à écrire
le moins possible ! »
– Croyez-vous
que je n’y pense pas ? Mais je voudrais tellement aider Catarina !
– Et
savoir ce que ce beau cardinal vous tient en réserve ! Je reconnais qu’il
est habile et que son histoire a été menée de main de maître ! Il a su
parfaitement jouer de vos bons sentiments et de la reconnaissance que vous
devez à cette jeune dame. Et, pour finir, piquer la curiosité si naturelle aux
filles d’Eve.
– Mais...
comment savez-vous cela ? Je ne me souviens pas vous l’avoir conté ?
Léonarde
eut un large sourire qui découvrit des dents un peu clairsemées, mais encore
bien blanches :
– Bien
qu’il n’y paraisse plus guère, je suis moi aussi une fille d’Eve, ma chère
Fiora. J’ai écouté à la porte, simplement ! Je vais voir si votre bain est
prêt.
La
sortie de Léonarde sous les ailes blanches de sa haute coiffe qui battaient au
vent de sa marche fut un
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