Fiora et le roi de France
chef-d’œuvre de dignité que Fiora admira sans réserve.
Ce fut seulement quand elle quitta son lit, un instant plus tard, qu’elle s’aperçut
que la vieille demoiselle avait emporté tous ses brouillons.
Néanmoins,
lorsque le cardinal della Rovere opéra, deux jours plus tard, sa deuxième
apparition à la maison aux pervenches la lettre était prête et Fiora la lui
tendit dès qu’il eut pris place près de la cheminée.
A dire
vrai, la jeune femme n’en était pas mécontente.
L’ayant
beaucoup travaillée en compagnie de Léonarde, elle pensait qu’en toute équité,
elle devait satisfaire les intéressés et ne mécontenter personne. En effet,
après quelques lignes empreintes de chaude amitié et de profonde
reconnaissance, Fiora assurait la comtesse Riario de son grand souhait de voir
la paix régner à nouveau entre Rome et la France, ainsi qu’avec cette terre de
Toscane qui lui était chère entre toutes...
– Peut-être
le cardinal va-t-il trouver que vous ne vous engagez pas suffisamment, avait
remarqué Léonarde à la dernière lecture, mais vous verrez bien sa réaction et
vous aurez sans doute le loisir de discuter avec lui.
Or, à
la grande surprise de Fiora, le prélat, après avoir lu attentivement, déclara
excellente la prose de la jeune femme et lui exprima sa satisfaction. Cette lettre
causerait une grande joie à la comtesse Riario et panserait quelque peu la
blessure d’orgueil de Sa Sainteté puisque, seul, l’amour maternel avait incité
Mme de Selongey à prendre la fuite et donna Catarina à l’aider dans cette
entreprise. Le pape serait également enchanté de constater que son ancienne
prisonnière ne lui gardait pas rancune et qu’elle était prête au contraire à
aider à une réconciliation générale...
– Vous
voyez, dit della Rovere en conclusion, que je ne vous demandais rien de bien
difficile, mais vous me rendez un grand service personnel et je vais essayer de
vous en témoigner ma reconnaissance... Oh, de façon... modeste, je le crains,
car ce que je vais vous conter ne présente peut-être aucun intérêt.
Il
prit un temps et détourna les yeux comme s’il hésitait, puis soupira :
– Oh !
c’est stupide ! Mon oncle... je veux dire le Saint-Père, me reproche
toujours de trop parler et de ne pas maîtriser suffisamment mes impulsions.
Voilà qu’à présent je crains de vous faire plus de mal que de bien.
– Ce
que l’on fait dans une bonne intention, Monseigneur, ne saurait être néfaste.
Me ferez-vous la grâce de me confier au moins de quoi il est question ? Est-ce
de Florence ?
– Non.
C’est... de votre époux !
– Mon
époux ? Sauriez-vous quelque chose à son propos ?
– Peut-être.
Durant mon séjour ici, j’ai cherché à en apprendre sur vous plus que je n’en
savais. A Rome, ce condamné à mort miraculeusement sauvé à l’instant où il
allait mourir n’a pas manqué de m’intriguer. J’ai su ainsi que le comte de
Selongey, enfermé au château de Pierre-Scize, à Lyon, s’en était évadé sans que
l’on pût savoir ce qu’il était devenu. Est-ce exact ?
– Tout
à fait, Monseigneur. On sait seulement qu’il a pris une barque pour s’enfuir et
je ne vous cache pas que cette circonstance m’effraie. On dit que le fleuve sur
lequel il est parti, le Rhône je crois, est dangereux. J’ai peur qu’il se soit
noyé.
– C’est
possible, en effet. Pourtant, lorsque j’ai entendu cette histoire, elle m’a
rappelé un événement qui a eu lieu voici quelques mois. Un événement mince en
apparence, mais qui pourrait prendre pour vous une certaine signification.
– Dites
vite, Monseigneur, je vous en prie ! La moindre piste peut avoir de l’importance.
– Eh
bien, voici ! L’an passé comme je vous le disais, les moines de la
chartreuse du Val-de-Bénédiction, qui se trouve à Villeneuve-Saint-André [ix] juste en face de
mon siège épiscopal, ont trouvé, au fond d’une barque échouée dans les roseaux,
un homme blessé et sans connaissance qui semblait avoir subi de rudes épreuves.
Ils l’ont emporté chez eux et l’ont soigné, mais il a été impossible de lui
faire dire son nom. Il ne sait plus rien de lui-même, et pas davantage d’où il
vient ni ce qu’il a vécu.
– Il
aurait perdu la mémoire ?
– C’est
ce qu’en a conclu le père abbé.
Le
cœur de Fiora battait la chamade dans sa poitrine. Le sang lui était monté au
visage et ses mains
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