Fiora et le roi de France
sardonique :
– Voilà
ce que l’on obtient en se rendant indispensable ! déclara-t-elle
joyeusement.
Au
matin du mardi 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge, Fiora et Léonarde
quittèrent la maison aux pervenches dans l’un de ces vastes chariots bien
pourvus de coussins, de rideaux, de matelats et de mantelets de cuir qui
permettaient d’accomplir à peu près confortablement les plus longs trajets et d’affronter
les pires intempéries. Deux puissants chevaux y étaient attelés et un grand
diable moustachu répondant au nom de Pompeo les tenait en main. Le temps était
un peu frais, mais promettait une journée ensoleillée propice au voyage.
Pourtant, quand le lourd véhicule s’ébranla, Léonarde esquissa une grimace et
marmotta :
– Je
me demande si nous ne faisons pas une sottise.
– Une
sottise ? protesta Fiora. Alors que nous allons peut-être tirer Philippe d’une
situation pénible ? L’imaginez-vous enfermé dans ce couvent, ne sachant
plus qui il est ni d’où il vient ? Livré au bon vouloir de moines qui ne
sont peut-être pas tous de saints hommes ?
– Nous
ne sommes pas sûres que ce soit lui...
– J’en
demeure d’accord, mais avouez qu’il existe un ensemble de coïncidences
troublantes. Craignez-vous que je sois déçue ?
– Peut-être...
– Alors,
rassurez-vous. J’y suis préparée et je pense qu’il vaut mieux faire ce voyage
pour rien que rester ici et abandonner Philippe à un sort dont personne ne
pourrait le libérer.
La
belle sérénité de la jeune femme était réconfortante et Léonarde ne dit plus
rien, mais elle ne parvenait pas à se tranquilliser. Le cardinal della Rovere
constituait la cause principale de son inquiétude : elle répugnait à lui
accorder une entière confiance. Léonarde se le reprochait, puisqu’il s’agissait
du neveu du Saint-Père, mais le récit des aventures vécues par Fiora dans la
Ville Éternelle l’avait profondément choquée. Sa piété profonde, sa foi totale
et l’amour sincère qu’elle vouait à Dieu, à Notre-Dame et au Christ n’en
avaient pas été entamés, cependant elle déplorait au fond de son cœur que Rome
et son prince ne soient même pas capables d’inspirer le respect.
Bien
sûr, elle n’ignorait pas qu’il y avait eu, au cours des siècles, des pontifes
plus ou moins discutables, mais cet ancien moine qui, en coiffant le Trirègne [x] n’avait vu là qu’une
occasion d’enrichir scandaleusement sa nombreuse famille et n’hésitait pas à
déclarer une guerre pour spolier Lorenzo de Médicis après avoir tenté de l’assassiner,
n’avait aucun droit à la considération des fidèles et surtout pas à la sienne.
Tout ce qui concernait Rome était désormais, pour elle, sujet de méfiance, et l’aimable
cardinal n’échappait pas à ce jugement définitif.
Comme
il était convenu, on le rejoignit sur le parvis de la collégiale Saint-Martin
où sa suite fastueuse tenait toute la place. Les deux femmes descendirent de
voiture pour entendre la messe, prier un instant au tombeau du saint, puis l’on
se disposa à quitter Tours au milieu d’un grand concours de peuple qui
acclamait l’illustre étranger. Chevauchant fièrement un superbe destrier noir
sur la croupe duquel sa simarre pourpre s’étalait avec magnificence, Giuliano
della Rovere distribuait les bénédictions tandis que ses serviteurs faisaient
largesse en son nom.
Avec
ses équipages, ses secrétaires, ses serviteurs, ses chevaux et ses mules, ses
gardes aussi et ses chariots de bagages, le train du légat était considérable
et atteignait presque les murs de la ville alors que la fin du cortège quittait
tout juste le parvis. La voiture des deux femmes y prit place vers la fin, un
peu avant les domestiques et les chariots portant le mobilier et les bagages,
car il ne convenait pas que des femmes fussent mêlées aux ecclésiastiques.
Auprès d’elles, une poignée de pèlerins descendant en Provence et autorisés à
profiter d’une aussi auguste compagnie se mirent en marche avec des montures
variées ou à pied...
Par la
grande rue de la Scellerie, où l’on passa devant le couvent des Augustins et
celui des Cordeliers dont tous les moines étaient à genoux dans la poussière
pour se faire bénir, on gagna le bourg des Arcis et la porte Saint-Étienne,
défendue par une puissante bastille et tournée vers le sud.
Passé
le faubourg du même nom et les « Ponts Longs » qui
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