Fiora et le Téméraire
que 1 ‘on m’a fait ici !
– Mais
le maître, lui, ne se plaindra pas : ce qu’il veut, c’est vous avoir dans
son lit, et moi je veillerai à ce que vous n’en sortiez pas, justement, de ce
lit !
Furieuse,
Fiora rentra au logis en se donnant le plaisir dérisoire de faire claquer la
porte derrière elle.
Et les
jours, et les nuits se mirent à couler, tristes, gris, tous pareils et
étouffants d’ennui. Le temps avait repris ses couleurs désolantes et l’été s’était
achevé dans les grandes pluies et les vents démesurés de l’équinoxe.
Pierrefort, environné de nuages et de tourbillons, ressemblait à un vaisseau
dans la tempête et Fiora aimait alors à monter sur les remparts pour le plaisir
violent de se laisser fouetter par les bourrasques. Elle rêvait d’être emportée
par l’une d’elles et de pouvoir, comme un oiseau, voler par-dessus les créneaux
pour se plonger dans la campagne détrempée comme elle eût plongé dans la mer...
Mais il fallait toujours redescendre... et au logis elle étouffait.
Elle
passait de longues heures assise dans la salle, au coin de l’immense cheminée
où le bois brûlait tout le jour, sans rien faire, le regard perdu dans le jeu
capricieux des flammes. Elle n’avait aucun moyen de s’occuper car on ne
trouvait pas un livre dans ce château ni rien qui permît de broder ou d’occuper
ses mains à quelque ouvrage. La nuit, Salvestro l’enfermait à clé dans sa
chambre et couchait en travers de la porte pour plus de sûreté encore : Fiora
pouvait l’entendre ronfler comme une toupie d’Allemagne. Entre-temps n’ayant
rien à se dire, ils n’échangeaient que peu de mots. La seule péripétie notable
était représentée par les nouvelles que, deux fois la semaine,
Salvestro
envoyait chercher à Toul ou à l’abbaye de Domèvre quand on allait aux
provisions.
Ainsi
que l’avait prédit le vieil écuyer, le Téméraire avait levé son étendard violet
et noir et rouvert les portes de la guerre. Après avoir envoyé, le 15
septembre, au jeune duc René un manifeste qui n’était rien d’autre que la plus
belliqueuse des déclarations, il avait pris le commandement de son armée et
commençait à envahir la Lorraine. Il était précédé par un premier corps de
troupes aux ordres du maréchal de Luxembourg et de Campobasso qui avaient mis
le siège devant Conflans-en-Jarnisy. René II était parti pour la France afin d’essayer
d’obtenir l’aide de Louis XI sans y croire tout à fait puisque le roi venait de
signer la paix de Soleuvre avec la Bourgogne. L’écho des combats faisait frémir
le vieux Salvestro comme un cheval de bataille qui entend la trompette et le
rendait plus désagréable encore s’il était possible.
Une
nuit, Fiora fut réveillée par le vacarme de la herse et du pont. Il y eut le
galop d’un cheval, des cris. Elle sauta à bas de son lit et enfilait sa chemise
pour aller voir ce qui se passait mais n’eut qu’à peine le temps de se poser
des questions. Déjà Campobasso, le casque sous le bras, son armure dégouttante
et le regard étincelant était entré. Un instant ils se regardèrent en silence
puis, laissant tomber son heaume et arrachant ses gantelets, il marcha vers
elle...
– Il
fallait que je vienne ! dit-il. Conflans se passera de moi pendant une
vingtaine d’heures...
– Tu
veux dire... que tu as abandonné ton poste pour venir jusqu’ici ?
– Oui...
au risque de me déshonorer mais je n’en pouvais plus... J’ai besoin de toi...
plus encore que de l’air que je respire. Viens m’aider à ôter cette ferraille !
J’ai deux heures environ.
Au
lieu d’obtempérer, elle s’empara d’une grande écharpe pour en couvrir son trop
mince vêtement, croisa les bras sur sa poitrine et s’adossa à la fenêtre :
– Non !
C’est un peu trop facile de tomber ici comme la foudre en déclarant que tu as
besoin de moi ! Eh bien, vois-tu, moi, je n’ai nullement besoin de toi,
aucune envie de toi et, si tu me veux, il faudra me faire violence !
Décontenancé
par sa réaction, il ne sut que balbutier penaud :
– Mais...
Fiora... nous nous aimons ! As-tu déjà oublié Thionville, notre chambre...
et comme nous nous sommes aimés ?
-Je n’oublie
rien. Toi, en revanche, tu sembles avoir perdu de vue ce que l’on doit à une
femme de ma qualité. Que suis-je ici ? Une fille soumise à ton bon plaisir ?
Regarde ces barreaux à ma fenêtre ! Sais-tu que je n’ai le
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