Fiora et le Téméraire
absurde de mentir : je n’ai
qu’une seule tête à vous offrir. Et puis, à la vérité, je ne me sens plus
tellement envie de vivre.
– Vous
voulez mourir ?
– Cela
arrangerait si bien les choses...
– C’est
à moi d’en juger... Sortez à présent et laissez-moi prier ! J’ai, sur mon
honneur, grand besoin de prier...
Après
une génuflexion qui s’adressait au duc aussi bien qu’à Dieu, Fiora quitta l’oratoire
dont elle referma très lentement la porte derrière elle. Assez lentement pour
voir que le Téméraire s’était laissé tomber à genoux sur la marche de l’autel
et avait enfoui sa tête dans ses mains. Au mouvement des épaules, on pouvait même
supposer qu’il pleurait...
Il
était près de minuit, le lendemain soir, quand Battista Colonna vint chercher
Fiora dans sa chambre. Silencieusement, éclairés par la lanterne que le page
balançait dans sa main, la jeune femme et son guide parcoururent des salles,
des galeries, descendirent des escaliers en colimaçon qui semblaient
interminables et finalement débouchèrent dans le pourpris du palais dont les
quelques arbres, dépouillés par l’hiver, montraient à nu leurs branches
tordues, soulignées d’un léger liseré blanc. Il était tombé de la neige dans la
journée et elle avait couvert l’enclos d’une mince couche floconneuse.
Autour
de ce qui était, au printemps, un doux tapis d’herbe émaillé de fleurs où les
dames aimaient à venir s’asseoir pour deviser, entendre des vers ou danser des
rondes, se tenaient quelques hommes enveloppés de longs manteaux noirs, comme
Fiora elle-même, qui les faisaient semblables à des fantômes. Deux d’entre eux
étaient assis sur des escabeaux que l’on avait apportés là : c’étaient le
duc Charles et le légat. Un troisième siège, auprès de ce dernier, attendait
Fiora qui y prit place après avoir salué silencieusement le prélat, le prince
et un homme d’une cinquantaine d’années et de haute mine qui se tenait debout
auprès du Téméraire et dont elle savait qu’il était son demi-frère, ce Grand
Bâtard Antoine qui, par ses exploits avait élevé sa naissance illégitime à la
hauteur d’une légende. Personne ne disait mot...
Dans
la flaque de lumière dispensée par les torches que portaient trois valets noirs
– et peut-être muets – apparurent les deux adversaires. Leurs armures
cannelées, forgées toutes deux par les célèbres Missaglia de Milan les
appariaient et, à première vue, on ne put les reconnaître que grâce à ceux qui
les accompagnaient : Mathieu de Prame pour Selongey et Galeotto pour
Campobasso. Ils étaient sensiblement de même taille. Chacun d’eux était armé d’une
épée et d’une dague...
D’un
même mouvement, ils vinrent mettre genou en terre devant le duc et le légat. Le
premier ne bougea pas mais quand le second leva la main pour un geste de
bénédiction, Philippe ôta le grand bacinet qui emprisonnait sa tête et le jeta
à terre affirmant ainsi son intention de combattre sans sa protection...
– Souhaitez-vous
tellement vous faire tuer ? demanda le Téméraire d’une voix sourde où
perçait une angoisse. Reprenez ce casque ! ...
– Avec
votre permission, monseigneur, je n’en ferai rien. Nous ne sommes pas ici pour
bosseler de l’acier. L’un de nous n’en sortira pas vivant. Ce sera plus facile
ainsi...
– Comme
il vous plaira mais vous vous infligez là un grave désavantage... à moins que
votre adversaire ne montre pareil dédain de la vie ? ...
Tous
les regards se tournèrent vers Campobasso qui paraissait changé en statue. Son
hésitation était palpable mais il tourna les yeux vers Fiora et lut dans son
regard tant d’implacable mépris qu’il se décida et libéra également sa tête :
– Après
tout, pourquoi pas ? fit-il avec un haussement d’épaules...
Tous
deux se relevèrent ensuite et vinrent se mettre aux ordres du Grand Bâtard qui
leur assigna une place à chacun puis se recula et se tourna vers le duc.
Celui-ci fit un signe d’assentiment :
– Allez,
messeigneurs, et que Dieu juge de vos causes laquelle est la meilleure.
Comme
dans une figure de danse bien réglée, les deux lourdes épées se levèrent en
même temps et Fiora enfonça ses ongles dans sa main, le cœur étreint d’une
angoisse mortelle. Hors de leurs carapaces de fer les deux têtes nues
paraissaient étrangement fragiles. Qu’une épée s’abattît sur l’une
Weitere Kostenlose Bücher