Fiora et le Téméraire
voudrais... ne plus le voir
jamais. Mais je vous remercie de permettre que je rencontre Philippe...
Ils
étaient face à face à présent, dans ce qui avait été l’oratoire des duchesses
de Lorraine, un petit sanctuaire de pierre grise que le faste bourguignon avait
déjà rhabillé d’azur, d’argent, d’une très belle statue de la Vierge et de
quelques reliquaires devant lesquels, à l’entrée de Fiora, Philippe priait, à
genoux.
Au
léger grincement de la porte, il s’était levé et, une main posée sur la table
de communion, il regardait la jeune femme venir à lui mais elle s’arrêta à
quelques pas.
– Je
ne souhaitais pas vous rencontrer, dit Selongey d’une voix basse où Fiora crut
percevoir une lassitude.
Mais
le duc a insisté sans d’ailleurs m’en donner la raison.
– C’est
moi qui l’en ai prié. Je voulais vous voir avant que... oh, Philippe, vous êtes
blessé !
La
tempe droite, en effet, portait une écorchure tout juste refermée autour de
laquelle la peau avait bleui mais Philippe haussa les épaules :
– Si
c’est de cette estafilade que vous souhaitiez me parler...
– Un
peu oui... mais surtout de ce duel qui m’épouvante. Est-il indispensable que
vous vous battiez...
– Avec
votre amant ? J’espère bien le tuer ! J’ai quinze ans de moins que
lui et ce n’est pas cette égratignure qui m’en empêchera. Vous avez peur,
dites-vous ? Alors vous auriez dû comprendre qu’en venant prier pour lui
vous ne feriez qu’accroître mon envie de l’abattre.
– Prier
pour lui ? C’est une pensée qui ne m’effleurait même pas. C’est pour vous
que je tremble...
– Vous
êtes bien bonne mais vous devriez plutôt vous inquiéter pour ce batteur d’estrade,
car je ne le ménagerai pas et il trouvera cela très déplaisant. Inhabituel
surtout : un condottiere, chacun le sait, est fort ménager d’une vie qu’il
entend conserver pour pouvoir jouir à l’aise, sur ses vieux jours, des fruits
de ses services mercenaires...
– J’ai
supplié le duc d’empêcher ce combat.
– Il
vous a ri au nez, j’imagine ? Croyez-vous que je puisse endurer qu’un
homme vienne à la cour de mon prince réclamer ma femme comme son bien ?
– Votre
femme ? dit Fiora avec amertume. Dans votre esprit je ne l’aurai été que
durant quelques heures mais jamais, au grand jamais vous n’avez imaginé de
vivre avec moi, de faire de moi la compagne de tous vos instants. Croyez-vous
que j’ignore les termes de ce contrat insensé que vous avez arraché à la
faiblesse de mon père et par quel moyen, indigne d’un chevalier, vous avez
emporté la victoire ? Dans tous les pays du monde cela s’appelle du
chantage !
– Je
vous voulais à tout prix et j’aurais employé tous les moyens, même les pires...
– N’est-ce
pas ce que vous avez fait ?
Il
détourna la tête pour ne plus rencontrer ce regard étincelant de colère où il
ne pouvait lire que sa condamnation.
– Je
l’avoue à ma honte mais vous m’avez rendu fou... -Moi ou ma fortune ?
– Je
croyais vous avoir prouvé que je vous aimais ?
– Vous
me l’avez prouvé ? Etait-ce preuve suffisante que cette nuit où vous avez
fait de moi une femme, après quoi vous vous êtes enfui comme un voleur sans
vous demander, même un seul instant, si vous ne me laissiez pas
irrémédiablement blessée ? Vous emportiez une lettre de change et une
mèche de cheveux, m’a-t-on dit. C’était cela votre victoire...
– Je
suis revenu à Florence.
– Vous
l’avez déjà dit et cela non plus ne prouve rien. Vous avez écouté, en regardant
brûler mon palais, les premiers ragots venus et vous êtes reparti, avec de
grands soupirs sans doute mais, ces soupirs, je ne suis pas certaine qu’ils n’étaient
pas de soulagement. Vous vous retrouviez veuf avec, devant vous, un nouvel
avenir.
– Ce
n’est pas vrai. Je suis revenu parce que je vous aimais, parce que je voulais
vous revoir...
– C’est
sans doute ce que vous avez essayé de vous faire croire à vous-même ? Si
vous m’aviez aimée... comme moi je vous aimais, vous auriez détruit Florence,
pierre par pierre, vous auriez creusé la terre avec vos ongles jusqu’à ce que
vous eussiez retrouvé au moins mon cadavre mais vous êtes reparti
tranquillement. L’histoire était finie, il n’y avait plus le moindre Beltrami
au monde pour vous rappeler que, pour l’amour de votre maître, vous étiez
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