Fiora et le Téméraire
le roi au château de
Plessis-lez-Tours... avec Léonarde qui avait fermement insisté pour les
accompagner.
– Étant
désormais en paix avec la Bourgogne, poursuivit Léonarde, notre sire a pensé
que rien ne s’opposait à ce qu’il vous réclame. Je crois que le roi a beaucoup
d’estime pour vous et nous étions tous fort affligés de votre sort.
– Vous
n’aviez pas tout à fait tort de l’être. Mais vous ne me parlez point de
Démétrios ? Est-il toujours auprès du roi Louis ?
– Non.
Il est au château de Joinville, pas bien loin d’ici avec le duc René II de
Lorraine. Le roi l’a « prêté » au jeune duc pour qu’il prodigue ses
soins à la vieille princesse de Vaudémont, sa grand-mère, qui est fort malade.
En
outre Démétrios a tiré l’horoscope de ce prince et ce qu’il y a lu l’a si fort
attaché à lui qu’il ne veut plus le quitter. Le roi y a consenti. Quant à
Esteban, il est allé rejoindre son maître et nous avons fait route ensemble
jusqu’à Saint-Dizier...
– Ainsi
Démétrios m’abandonne ? dit Fiora avec un peu de tristesse. Je croyais que
nous avions conclu un pacte ? Mais apparemment mon sort l’intéresse moins
que celui de « l’Enfant »...
– L’enfant ?
– C’est
ainsi que le duc Charles appelle celui qu’il vient de déposséder de ses terres
et de sa couronne.
– Il
est assuré que lui n’a rien d’un enfant. C’est un homme impressionnant. Mais ne
croyez-vous pas qu’il serait temps de m’apprendre ce que vous avez fait de tout
ce temps passé sans votre vieille Léonarde ?
Le
récit de Fiora fut plus long. Elle le fit honnêtement, sans concessions pour
elle-même ou pour sa pudeur et il advint que, parfois, Léonarde rougît à l’écouter
mais quand ce fut fini, celle-ci se contenta de se moucher vigoureusement, ce
qui chez elle était signe de grande émotion et s’en vint embrasser sa Fiora sur
le front.
– J’aimerais
bien vous voir oublier tout cela au plus vite, mon agneau, mais ce me paraît
difficile avec ce duc Charles qui tient essentiellement à vous garder
par-devers lui.
– Il
a dit à Campobasso que j’étais un otage.
– J’ai
bien entendu. Mais alors pourquoi donc répond-il hautement à cet insupportable
Mortimer que la place de la dame de Selongey est auprès de lui ? D’autant
que, si je vous ai bien comprise, vous venez de renoncer à cet honneur en
demandant l’annulation de votre mariage ?
– C’est
étrange, en effet, mais ne me demandez pas de vous expliquer le Téméraire.
Personne n’est en mesure de le faire, je crois... et peut-être non plus
lui-même !
La
nuit venue, les deux femmes, laissant les Marqueiz aller entendre à Saint-Epvre
la messe de minuit, suivirent Battista Colonna venu, au nom du duc Charles, les
convier à l’office de la collégiale Saint-Georges.
C’était
la première fois, depuis Notre-Dame de Paris, que Fiora assistait à une messe.
Mais sa paix avec Dieu était faite puisqu’il avait permis que Philippe ne
succombât pas sous l’épée de Campobasso et, dans cette église illuminée qui,
avec ses grandes brassées de houx et de gui, ressemblait à quelque forêt
enchantée, elle se laissa bercer par les voix angéliques des jeunes chanteurs
de Bourgogne... Scintillant de ses plus beaux joyaux, le Téméraire étalait dans
le chœur la fabuleuse splendeur d’un manteau tissé d’or et semé de pierreries.
Autour de lui ses officiers, bien qu’ayant revêtu leurs plus riches atours,
passaient inaperçus...
– Est-il
permis à un homme né de la femme de se glorifier lui-même à ce point ? murmura
Léonarde.
– Je
crois, répondit Fiora, qu’il considère tout cela comme très naturel. N’est-il
pas le Grand Duc d’Occident et, si j’en crois les rumeurs, il pourrait être
bientôt roi. Mais les fêtes de ce soir ne constituent pour lui qu’une étape.
Battista m’a dit que, d’ici peu, il va reprendre les armes pour libérer les
terres de la duchesse de Savoie et tirer vengeance des Suisses qui se sont
emparés de son comté de Ferrette [xix] et ont mis à mal la Comté Franche...
– Que
va-t-il faire de nous en ce cas ? Pense-t-il vous traîner à sa suite comme
ces reines de l’Antiquité que l’on attachait au char du vainqueur ?
– On
ne se sépare pas d’un otage et il prétend que j’en suis un. Je pense d’ailleurs
que ce ne sera pas plus pénible pour nous que pour ces ambassadeurs
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