Fiora et le Téméraire
le
vêtement, Fiora eut l’impression qu’elle avait pâli : -Eh bien ? fit-elle
avec impatience.
– Plus
personne n’arbore ces armes. Elles étaient celles de Monseigneur Charles quand
il n’était que comte de Charolais. Le lambel d’argent est la marque du fils
aîné... Je suppose qu’étant son écuyer, Jean de Brévailles a dû en porter de
semblables...
– Ah !
C’était
donc cela ! Le lendemain, à la halte de Neuf-château où le Téméraire
devait prendre le commandement de l’armée, Fiora s’approcha du prince tandis qu’il
faisait vérifier les fers de son cheval :
– Je
vous ai obéi, monseigneur, dit-elle, mais j’avoue ne pas comprendre le pourquoi
de ce costume. Est-ce... pour accentuer une ressemblance ?
– Oui,
répondit le duc en italien. Il m’est doux, pour cette guerre, d’avoir à mes
côtés l’image d’un compagnon d’autrefois... d’un compagnon que j’aimais.
– Que
vous aimiez ? protesta Fiora indignée. Vous osez dire cela quand vous n’avez
rien fait pour le sauver ?
– Je
ne pouvais rien faire. Le crime était sans pardon possible car il offensait
Dieu autant que l’humanité. Mieux valait, cent fois, que cette tête tombât sur
l’échafaud plutôt que l’enfouir dans quelque cul-de-basse-fosse. Jean était mon
ami. Nous avons lu Plutarque ensemble, navigué ensemble au large de Gorcum,
jouté ensemble, bu et ri ensemble. Il pouvait espérer de mon amitié un grand
état, une belle alliance et cependant... cependant, continua-t-il avec une
brusque flambée de colère, il est parti sans même un mot, il a rejeté tout
cela, renié tout cela pour le corps d’une femme qui était sa sœur. Alors que je
le croyais pur, il était comme tous les autres, comme mon père que le premier
jupon venu mettait en folie... pire que tous les autres !
– Non,
dit Fiora doucement. Il était seulement victime d’un amour impossible,
défendu... mais c’était tout de même de l’amour.
Il la
regarda avec, dans les yeux, une sorte d’égarement.
– Vous
croyez ?
– J’en
suis certaine. Et vous aussi monseigneur... sinon, pourquoi serais-je auprès de
vous et sous ces vêtements ?
– C’est
vrai. Il m’a... beaucoup manqué. Vous me donnez l’illusion de sa présence, d’autant
plus précieuse que vous avez l’âge qu’il avait alors... Eh bien, ajouta-t-il en
français, est-ce enfin fini ?
Le
maréchal-ferrant avait achevé son ouvrage. Le duc s’enleva en selle et
rejoignit, au trot, le Grand Bâtard qui l’appelait. Fiora le regarda s’éloigner
sans parvenir à comprendre d’où venait le bizarre sentiment, assez proche de la
pitié, qu’elle éprouvait soudainement-Depuis, il s’était montré plein de
gentillesse à son égard, surtout pendant les quinze jours que l’on avait passés
à Besançon pour adjoindre à l’armée quelques compagnies comtoises. Il était
même étonnant de constater que, du jour où il avait su la vérité sur la
naissance de Fiora, le duc avait complètement changé d’attitude envers elle. De
hargneux et méprisant, il s’était fait presque amical alors que le contraire
eût été plus normal. Parfois, le soir, il l’invitait à venir écouter ses
chanteurs et même, ayant découvert qu’elle savait jouer du luth et possédait
une jolie voix, il la faisait chanter en duo avec Battista Colonna et il lui
arrivait de chanter avec eux. Les seuls bénéficiaires de ces concerts intimes
étaient Antoine de Bourgogne et l’ambassadeur milanais.
Fiora
noua vite amitié avec Jean-Pierre Panigarola. C’était un homme d’une
quarantaine d’années, avec ce visage étroit et méditatif que l’on voit à
certaines statues de saints – mais il n’en avait que l’apparence. Fin, cultivé,
sachant manier l’humour, il était un observateur attentif de la
nature humaine et un excellent diplomate. Presque chaque jour, il écrivait de
longues lettres au duc de Milan, Galeazzo-Maria Sforza, son maître, et Fiora
découvrit rapidement qu’il connaissait le Téméraire mieux que ses propres
frères. De même qu’il semblait se retrouver fort aisément dans la politique
sinueuse de Louis XI, auprès duquel il avait rempli avec succès des fonctions d’ambassadeur
avant que la mort de Francesco Sforza, père du duc actuel, grand chef d’État et
ami du roi de France, ne vînt renverser les alliances et tourner Milan vers la
Bourgogne.
Le
faux garçon, nourri de Platon, de Sophocle et
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