Fiora et le Téméraire
soldats
du prévôt de la ville.
Quand
on atteignit la Cité, passé le Petit-Pont, l’animation fut plus grande encore :
hommes, femmes, fillettes, bourgeois, marchands se saluaient, s’arrêtaient,
échangeaient des propos tandis que de petits enfants qui s’en allaient quérir
du vin ou de la moutarde passaient en agitant leurs pots. Cependant et
contrairement aux étudiants, personne ne riait.
– C’est
un peu comme à Florence, remarqua Fiora, mais il y manque notre lumière...
– Il
n’y a pas du tout de lumière aujourd’hui, dit Démétrios, mais j’ai déjà vu
cette ville sous un soleil plus ardent que celui de Toscane. Et nous avons
rencontré tant de jardins !
Depuis
la porte Saint-Jacques, en effet, Paris s’était montré sous son plus joli jour.
Clos, courtils et jardinets, appartenant à des couvents ou à des particuliers,
fleurissaient un peu partout cachant les blessures encore visibles subies par
la grand-ville pendant une guerre qui avait duré cent ans et, surtout, lors de
l’occupation anglaise. Le roi Charles VII qui n’aimait pas Paris n’avait pas
fait grand-chose pour une cité qui, selon lui, l’avait rejeté trop longtemps,
mais Louis XI, s’il préférait à sa capitale ses châteaux de Loire, n’en avait
pas moins compris que Paris méritait d’être défendu et rénové. Les remparts
avaient été consolidés, le double fossé recreusé, beaucoup de bâtiments remis
en état avec l’aide d’une bourgeoisie que le roi faisait riche et puissante.
Bien
qu’il considérât la capitale comme le centre névralgique du royaume, Louis la
visitait rarement. Dédaignant l’ancien hôtel Saint-Pol qu’affectionnaient ses
grands-parents, il logeait alors au palais des Tournelles dont les ducs d’Orléans
avaient fait une sorte d’œuvre d’art avec parc, bois, ménagerie, labyrinthe,
galeries, chapelles, cloîtres et bâtiments gracieux, ou plus volontiers encore,
à l’hôtel de la conciergerie de la Bastille Saint-Antoine, au cœur des défenses
de sa ville.
Il n’était
pas rare de rencontrer, à Paris, des voyageurs étrangers. Aussi Fiora et son
escorte ne soulevèrent guère de curiosité. D’autant qu’ils n’eurent pas à
demander leur chemin : Démétrios, en effet, avait séjourné jadis à l’auberge
du Grand Saint-Martin, dans la rue du même nom, lorsque avec son jeune frère
Théodose ils avaient fui Byzance en flammes. Sa mémoire infaillible en faisait
le guide le plus sûr. Il put même, une fois dans l’île de la Cité, faire un
léger détour pour que Léonarde pût contempler tout à son aise la cathédrale
Notre-Dame. Elle voulut y pénétrer pour une courte prière à laquelle Fiora ne s’associa
pas, préférant attendre, debout sur le petit parvis, contemplant bras croisés
la formidable église avec son triple porche, ses statues de rois et ses
immenses tours jumelles qui semblaient vouloir lui imposer l’image oppressante
de la puissance de Dieu. D’un Dieu envers lequel, plus que jamais, elle se
sentait en révolte. D’un Dieu redoutable, impitoyable qui, non content de lui
avoir tout arraché, avait encore permis qu’elle donnât son cœur innocent à un
homme assez vil et assez pervers pour bafouer le sacrement de mariage, dans l’unique
but de posséder son corps et de porter triomphalement à son maître la dot
royale qui, à cette heure, devait être engloutie dans les armes d’une injuste
conquête... Fiora ne savait plus, ne voulait plus prier, au grand chagrin de
Léonarde.
Quand
celle-ci ressortit, encore émerveillée de ce qu’elle avait découvert à l’intérieur
du saint lieu, Fiora se contenta de remonter en selle et de demander :
– Cette
rue des Lombards est-elle encore très éloignée ?
– Non.
Quand nous aurons traversé l’autre bras de la Seine nous n’aurons plus guère de
chemin. Aimes-tu Paris ?
– Je
ne sais pas. C’est sans doute une belle ville mais j’ai un peu l’impression d’y
étouffer :
– Le
voyage t’a fatiguée et le temps fait le reste.
On
quitta l’île par un grand pont de bois, bordé de maisons toutes semblables, le
pont Notre-Dame qui était le plus neuf de Paris car il avait été bâti par le
roi Charles VI, grand-père de Louis XI. Un vrai tintamarre s’y faisait entendre
car il desservait les moulins dont les grandes roues battaient l’eau qu’elles
emportaient puis laissaient retomber en longues coulures brillantes... La Seine
passée on
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