Fiora et le Téméraire
marchands me font l’effet de fieffés cancaniers et...
Démétrios
mit un terme à l’indignation du brave homme en lui commandant un pichet de son
meilleur vin de Beaune puis, quand il fut servi, se tourna vers ses compagnes.
– Notre
chemin est tout tracé. Il faut remonter à Dijon mais nous n’entrerons pas dans
la ville. Nous la contournerons pour rejoindre la route de Troyes qui se trouve
vers le nord...
– Passerons-nous
par... Selongey ? hasarda Fiora mécontente de se sentir rougir comme si
elle était fautive. Lorsque nous étions à Dijon, j’ai appris que cette terre se
trouvait aussi au nord...
– Certes,
répondit Léonarde avec un regard plein de compassion, mais cela nous
détournerait. Nous prendrons par Troyes. Selongey est sur le chemin qui mène à
Langres et, de là, aux pays lorrains...
– Le
détour serait-il si grand ? Je désire vraiment y aller ! reprit la
jeune femme d’une voix soudain raffermie.
N’est-il
pas naturel que je souhaite au moins apercevoir le château dont je devrais
porter le nom ?
– Espères-tu
y rencontrer messire Philippe ? demanda doucement Démétrios. Tu sais
parfaitement qu’il ne quitte jamais le duc Charles. Il doit être en Flandres à
l’heure actuelle, à moins qu’il ne soit resté avec l’armée en Luxembourg.
– Il
l’a néanmoins quitté deux fois à ma connaissance : la première quand nous
nous sommes mariés, la seconde quand il a été reconnu à Florence alors que la
populace pillait mon palais ! Je t’en prie, Démétrios : conduis-moi à
Selongey ! C’est, je le jure, ma dernière prière...
Les
grands yeux gris suppliaient et le médecin crut bien y voir briller une larme.
Sa longue main se posa sur celle de sa jeune amie, compréhensive et apaisante :
– Le
détour serait-il si grand, dame Léonarde ?
– Je
ne sais pas au juste... mais au moins une douzaine de lieues... et par des
chemins incertains qui ne vont pas tout droit...
– Une
journée de cheval, traduisit Esteban, et nous sommes en été. C’est peu de
chose...
– Nous
pouvons aussi nous égarer. Je suis née dans cette région mais je ne m’y suis
guère promenée...
– Eh
bien, nous demanderons notre route ! fit Démétrios avec bonhomie, et nous
n’en sommes pas à un jour près ! Nous ne saurions refuser à la dame de
Selongey de visiter son domaine. Et nous demanderons même l’hospitalité, si tu
le veux, conclut-il en baisant la main de Fiora. Qui peut savoir ce que nous y
trouverons ?
Fiora
ne répondit pas mais ses yeux, soudain emplis d’étoiles, trahirent l’espoir qui
lui était venu. Puisque, pour l’instant, les armes du duc Charles semblaient s’être
calmées, pourquoi le comte de Selongey n’en profiterait-il pas pour passer
quelques jours chez lui ? A l’idée de le revoir peut-être bientôt, le cœur
de Fiora s’affola et elle eut toutes les peines du monde à trouver le sommeil,
tandis qu’à côté d’elle, bienheureuse, Léonarde ronflait comme un soufflet de
forge...
Vers
la fin du second jour, Fiora, le cœur battant toujours au rythme de son espoir,
galopait à travers le plateau coupé de bosquets et de masses forestières que l’on
avait atteint après Til-Châtel et qui filait droit vers la cité épiscopale de
Langres. Un bûcheron du cru, rencontré à une croisée de chemins, avait indiqué
celui de Selongey :
– C’est
le prochain village : un gros bourg dans la vallée de la Venelle avec une
vieille église et un fort château dont vous apercevrez les tours quand vous
serez parvenus à cet arbre penché que vous voyez là-bas !
Une
pièce avait récompensé le bonhomme de son précieux renseignement et, quelques
instants plus tard, Fiora découvrait, en effet, le château de son époux. Son
émotion redoubla à cet aspect redoutable : dix tours en poivrière dont les
ardoises luisaient sous le soleil, gardées par des hommes d’armes ; de
grandes murailles solides et un donjon massif dressé vers le ciel comme le
doigt tendu d’un géant. Ainsi, c’était là « sa » maison, là qu’il
était né, qu’il avait passé son enfance et quitté les bras tendres d’une mère
pour apprendre la rude vie des hommes...
– Mais
je ne crois pas qu’il y soit ! soupira Léonarde. Et Fiora s’aperçut alors
qu’elle venait de penser tout haut...
– Pourquoi
donc ?
– Aucune
bannière ne flotte sur le donjon. Cela signifie clairement que le seigneur
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