Fiora et le Téméraire
apparition ! Vous êtes belle... belle comme une
sainte d’église !
– Rassurez-vous,
je n’ai rien de commun avec les saintes et vous me faites beaucoup d’honneur
mais, si j’étais vous, je ramasserais ces morceaux et j’irais tout de suite
replanter mon basilic dans un autre pot...
Le
jeune homme parut redescendre des hauteurs de l’empyrée. La vision de rêve
avait vraiment des préoccupations bien terre à terre !
– Vous
croyez ?
– J’en
suis persuadée. En outre j’aimerais que vous me laissiez passer. Je voudrais
monter m’habiller...
– Je...
oui, bien sûr. Excusez-moi, ajouta-t-il en s’écartant. Mais prenez garde à ne
pas vous blesser avec les morceaux...
Elle
lui adressa un sourire puis pénétra dans la maison. Lui ne bougeait pas, se
contentant de la regarder. Au moment où elle allait disparaître, il murmura :
– Je
m’appelle Florent... Elle s’arrêta surprise :
– C’est
un très joli nom. Je ne l’oublierai pas. Il évoque ma ville de Florence...
Cela
aurait dû faire plaisir au garçon mais, au contraire, son visage aigu où les
yeux bruns semblaient occuper toute la place sous une tignasse de même couleur
s’assombrit.
– Ah...
Vous êtes la dame que l’on attendait ? Je ne m’en suis pas rendu compte et
je vous demande bien pardon...
– Pardon
de quoi ?
– Eh
bien... De m’être montré... un peu trop familier... d’avoir osé...
– Vous
n’avez rien osé dont une femme puisse être choquée ! Un compliment fait
toujours plaisir s’il est sincère. Etiez-vous sincère ?
– Oh
oui !
– Alors
merci. A présent, je vous en prie, consacrez-vous entièrement à ce malheureux
basilic !
La
rencontre l’ayant amusée, Fiora apprit plus tard que son admirateur avait été
placé chez Nardi par son père, le changeur Gaucher le Cauchois, pour y étudier
l’art délicat des tractations bancaires, mais le jeune homme peu attiré par les
affaires et très doué pour le jardinage dépensait au service d’Agnelle, aussi
bien rue des Lombards que dans son clos de Suresne, le trop-plein de forces et
d’enthousiasme qu’il n’employait pas derrière son pupitre. La chaleur, la
taille d’une haie et les besoins de la cuisine expliquaient son costume
sommaire et le pot de basilic :
– C’est
un gentil garçon, conclut Agnolo, mais très secret, très renfermé et il n’y a
guère que ma femme pour deviner ce qui se passe dans sa tête...
Fiora
pensa qu’à présent elles étaient deux... puis oublia Florent. L’atmosphère de
Paris lui paraissait bizarre. En se rendant chez Nardi, elle et ses compagnons
avaient rencontré plusieurs troupes de soldats et, tandis qu’elle se préparait
pour le souper, elle entendit sonner l’Angélus et, presque aussitôt, corner la
fermeture des portes alors que la nuit était encore assez éloignée.
Démétrios,
de son côté, avait fait les mêmes observations et, au souper, quand la
maisonnée se retrouva autour d’un cochon de lait rôti et de savoureuses pâtes
au fameux basilic – Florent avait fini par approvisionner la cuisine – triomphe
d’Agnelle et de l’amour conjugal, le Grec interrogea son hôte :
– Depuis
la porte Saint-Jacques où l’on nous a longuement interrogés avant que de nous
laisser passer, nous avons croisé beaucoup d’hommes en armes et dame Léonarde a
vu, à Notre-Dame, beaucoup de femmes en prière. Les portes ont été fermées de
bonne heure. Paris serait-il menacé ?
Un
nuage assombrit l’aimable visage d’Agnolo. Il s’arrêta un instant de découper
son rôti et regarda tour à tour chacun de ses invités :
– Je
suis navré d’être obligé de parler, dès ce soir, de toutes ces choses et j’aurais
aimé attendre que soit passée la petite fête que nous projetons pour demain, en
votre honneur... Mais, après tout, peut-être vaut-il mieux que vous soyez au
courant de la situation...
– Parce
qu’il y a bien une situation... dirai-je préoccupante ? dit Démétrios
doucement.
– C’est
le mot juste. Paris n’est pas menacé dans l’immédiat mais il pourrait l’être
bientôt. Nous sommes au début d’une nouvelle invasion anglaise. Et la fameuse
guerre de Cent Ans n’est achevée que depuis vingt !
– En
chemin, nous avons entendu dire, en effet, que le roi Edouard avait franchi la
Manche. Savez-vous où il est, en ce moment ?
– A
un peu plus de trente lieues d’ici : à
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