Fiora et le Téméraire
Fiora...
Emue,
la jeune femme prit les mains du Grec et se haussa sur la pointe des pieds pour
poser un baiser sur sa joue. C’était la première fois qu’il faisait allusion à
un lien affectif entre eux et elle en était touchée :
– Tu
me rejoindras bientôt, j’en suis certaine. Le roi me l’a promis !
Sans
répondre, Démétrios avait posé ses deux mains sur la tête de Fiora en un geste
qui était une bénédiction.
– De
toute façon je te rejoindrai. Avec ou sans la permission du roi...
Puis,
se détournant, il était parti à grands pas rejoindre son cheval et Philippe de
Commynes qui, déjà en selle, lui faisait signe de se hâter. Fiora et Esteban se
rendirent alors, en silence, jusqu’au chemin de ronde des remparts d’où, à
présent, ils regardaient s’égrener l’interminable cortège. Celui-ci s’estompa
peu à peu, ses brillantes couleurs brouillées dans la brume que formait la petite
pluie fine et persistante...
– Allons
nous préparer maintenant ! soupira Fiora. Notre Ecossais doit déjà nous
attendre à l’auberge en trépignant...
En
fait, Mortimer ne trépignait pas le moins du monde. Installé dans la grande
salle, il vidait philosophiquement quelques pintes de bière tiède dans la
meilleure tradition britannique. Posées devant lui, sur un banc, ses sacoches
voisinaient avec une longue et large pièce de laine rousse grossièrement tissée
dans laquelle un fil rouge et un fil vert dessinaient des carreaux et qui
servait à la fois de manteau, d’écharpe et de couverture à l’Écossais. Vêtu de
daim gris, il avait remplacé le grand béret à plumes de héron qui était d’uniforme
par un autre, plus petit et en même tissu que son manteau, garni de plumes de
faisan. Une dague et une longue épée pendaient de chaque côté de sa ceinture.
Ainsi
équipé, Douglas Mortimer était superbe et majestueux à souhait ainsi qu’en
témoignaient les yeux ronds de la jeune servante qui le contemplait, un doigt
dans la bouche, sans qu’il y prêtât d’ailleurs la moindre attention. Mais,
voyant entrer Fiora, il se leva, vida son pot, jeta une pièce sur la table,
reprit son bagage et se dirigea vers la jeune femme :
– Prêt !
fit-il sobrement. L’étape de ce soir est à Villers-en-Retzi [x] .
– L’étape
de ce soir est à Paris, dit Fiora doucement mais fermement. J’ai à y faire !
– Pas
question ! grogna l’Écossais. Le roi a ordonné : je vous conduis en
Lorraine.
– Tout
à fait d’accord mais il n’a pas précisé par quel chemin. Nous passerons par
Paris !
– C’est
du temps perdu. Quand le roi ordonne, on exécute. Le roi a dit en Lorraine, on
va en Lorraine !
La
voix du sergent la Bourrasque commençait à prendre quelque ampleur. Fiora
comprit qu’il était temps pour elle d’user de cette vertu de patience que
Démétrios proclamait souveraine en toutes choses :
– Écoutez,
messire Mortimer : j’ai laissé à Paris, avec une jambe cassée, une femme
qui m’a servi de mère, que j’aime infiniment, qui doit être en peine de moi et
qui a le droit de savoir où je m’en vais. Je ne veux pas partir sans l’embrasser.
Est-ce que vous pouvez comprendre cela ?
– Je
ne comprends rien que les ordres du roi. Si vous vouliez faire le détour de
Paris, il fallait le lui dire.
– Mais
enfin qu’est-ce que cela peut vous faire de passer par un chemin ou par un
autre ? s’écria Fiora qui commençait à perdre sa précieuse patience.
– A
moi, rien, mais à mon cheval cela fait quinze lieues de plus et parfaitement
inutiles. Sans compter le temps que nous allons perdre là-bas ! Ah, vous
êtes bien une femme, hurla Mortimer dont la moustache commençait à se hérisser
de fureur. Vous saurez que lorsque l’on a l’honneur...
Ils se
dressaient l’un en face de l’autre comme des coqs de combat. Esteban se glissa
entre les deux et prit Fiora aux épaules, tournant délibérément le dos à l’Ecossais :
– Ecoutez-moi,
donna Fiora ! Vous savez combien je vous suis attaché et croyez bien que
je n’ai aucune envie de donner raison à cet Ecossais entêté mais il vaut mieux
ne pas retourner rue des Lombards.
– Vous
voulez que je parte pour une aventure dont je ne reviendrai peut-être pas sans
embrasser ma chère Léonarde ? Oh, Esteban, je vous croyais un homme de
cœur !
– Et
je prétends l’être mais c’est à dame Léonarde que je pense. Sa jambe ne peut
être encore guérie.
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