Fiorinda la belle
savez-vous, dit-il en terminant, qui est en réalité ce comte du Louvre ?
– J’attends que vous me fassiez l’honneur de me l’apprendre. »
Le duc ne répondit pas tout de suite. Il préparait son effet.
« Le comte de Louvre, c’est le roi François II, dit-il enfin.
– Le roi ! s’écria le vidame, qui se leva bouleversé, le roi parmi les hérétiques, chantant avec eux leurs exécrables cantiques ! Oh !…
– Oui, monseigneur, fit le duc avec force, le roi lui-même. Vous voyez donc bien que c’est à juste raison que je puis dire : le roi est un hérétique. Il est indigne de régner sur la France catholique. »
À ce moment, une voix claire et vibrante lança à toute volée, comme un formidable soufflet :
« Eh bien, vous mentez, duc ! »
La foudre tombant avec fracas au milieu de la noble assistance n’eût pas produit un effet comparable à celui que produisirent ces paroles tombant soudain au milieu d’un silence attentif.
Ce furent d’abord trois cris, trois hurlements plutôt, qui se fondirent en un seul :
« Beaurevers !…
– L’infernal Beaurevers !…
– Le damné Beaurevers !… »
C’étaient le duc, le cardinal et Rospignac qui venaient de pousser ces cris. Au même instant, tous étaient debout, la rapière au poing. Sauf le vidame qui n’avait pas d’épée au côté.
Ce fut là le premier mouvement ; ce furent aussi les seules paroles prononcées, et cela en un temps qui ne dura pas la dixième partie d’une seconde. Aussitôt après, un autre cri, un cri terrible, de désespoir farouche, poussé par le cardinal :
« La bulle !… la bulle !… »
Ils se tournèrent tous vers la table sur laquelle le vidame avait déposé ce papier. Et ce fut un autre coup de foudre, plus effroyable que le premier, qui les assomma.
La bulle n’était plus là.
VI – OÙ LES CHOSES SE GÂTENT
En les voyant dégainer, Beaurevers les avait imités. Il avait donc, lui aussi, l’épée à la main, et il les surveillait de son œil étincelant. Il profita de l’espèce d’hébétude dans laquelle les plongeait sa soudaine apparition et – catastrophe effroyable – la disparition du précieux parchemin, pour se placer de manière à pouvoir évoluer à son aise. En même temps, il expliquait de sa voix mordante et railleuse :
« Rassurez-vous, messieurs, ce parchemin n’est pas égaré… il est entre mes mains… C’est vous dire qu’il est en bonnes mains. »
Sa voix cinglait. Toute son attitude était une insulte et une bravade.
Mais, tandis qu’il parlait, les autres se remettaient.
Bien qu’il fût désarmé, le vidame s’était jeté devant le duc et lui faisait un rempart de sa poitrine.
Rospignac, Nemours, le cardinal lui-même, bien qu’il ne brillât pas précisément par la bravoure, s’étaient rangés aux côtés du futur roi.
Le duc, d’une voix rauque, indistincte, gronda :
« Nous sommes tous perdus si cet espion sort d’ici vivant ! »
Le cardinal, que la peur talonnait, déplora :
« Quel malheur que nous n’ayons pas amené nos gens ici ! »
Rospignac rassura avec un sourire livide :
« Heureusement, moi je suis un homme de précaution : d’un coup de sifflet, je peux faire accourir vingt hommes ici. »
Ceci était murmuré entre haut et bas pendant que Beaurevers parlait. Déjà Rospignac portait la main à sa poitrine pour y prendre son sifflet. Le vidame avait entendu. Il se tourna vers le groupe qui encadrait le duc et, comme Beaurevers achevait en réitérant son démenti, il prononça à haute et intelligible voix :
« Que personne ne bouge. Que personne n’appelle. Vous êtes ici chez moi. Je me tiens pour responsable de ce qui vous arrive. C’est à moi, à moi seul qu’il appartient de régler cet incident. »
Il avait parlé avec un si grand air d’autorité que personne ne bougea et que Rospignac n’acheva pas son geste. Tous, même Beaurevers, se figèrent dans l’attente curieuse de ce qu’allait faire le vieillard.
« Monsieur, dit le vidame de sa voix grave, très ferme, vous vous êtes introduit chez moi comme un malfaiteur… »
Et comme Beaurevers avait un geste de protestation :
« Le mot vous semble dur ? Je n’en vois pas d’autre pour qualifier l’action honteuse dont vous vous êtes rendu coupable, jeune homme. Je répète donc : Vous vous êtes introduit ici comme un malfaiteur. En l’absence de mes gens je pourrais vous traiter comme tel
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