Fiorinda la belle
passa sous le nez de Trinquemaille et de Bouracan, qui ne la reconnurent pas davantage.
Elle revint le troisième jour. Et cette fois le hasard se manifesta en ce sens qu’il la fit passer devant Trinquemaille et Bouracan. C’était la deuxième fois en deux jours. C’était trop. La première fois, la vieille avait échappé à leur observation. La deuxième fois, il n’en fut pas de même. Trinquemaille se mit à chercher dans sa tête :
« Qu’est-ce que cette femme qui vient ici tous les jours comme un soldat à l’ordre ?… Pourquoi passe-t-elle tantôt par un côté, tantôt par l’autre ?… Qu’est-ce que cette femme ?… Et… et… où diable l’ai-je vue ?… car il me semble bien l’avoir vue ailleurs. »
L’esprit de Trinquemaille s’était mis à travailler. Il était sur la voie. Tout à coup, il murmura :
« Saint Pancrace me soit en aide !… »
Et il avait une grimace de jubilation qui indiquait qu’il avait trouvé.
Il glissa quelques mots à l’oreille de Bouracan qui, conscient de la supériorité de son camarade, partit aussitôt sans demander d’explications.
Trinquemaille rabattit les bords du chapeau sur les yeux, remonta les pans du manteau jusqu’au nez et alla se poster sous la croix de Trahoir. Ce qui lui permettait de surveiller à la fois la rue des Étuves et la rue du Four.
La vieille parut. Il la laissa prudemment s’éloigner de la demeure de Rospignac et la suivit jusqu’aux Halles. Là, au milieu de la foule, il s’assura d’un coup d’œil rapide qu’il n’était pas épié lui-même.
Il se trouvait alors à deux pas de la rue Tirechape {7} . Il saisit la vieille dans ses bras, l’enleva comme une plume, s’engouffra dans la rue, et d’un seul bond sauta dans un cabaret borgne qui se trouvait à l’entrée de la rue.
En deux bonds, Trinquemaille traversa la salle commune et porta la vieille dans un cabinet. Et elle verdit, elle se mit à trembler de tous ses membres, et elle gémit d’une voix étranglée :
« Jésus !… je suis morte !… »
Elle venait de se trouver en présence de Ferrière, de Bouracan, Strapafar et Corpodibale. Il faut croire qu’elle les connaissait très bien, puisque leur vue seule suffisait à lui causer une frayeur pareille.
Trinquemaille ferma la porte, s’appuya des épaules dessus, laissa retomber les pans de son manteau et prononça :
« Voici cette vieille mégère de mère Culot… Il faut la faire parler maintenant. »
Le ton sur lequel il avait dit cela devait être peu rassurant, car la vieille se laissa tomber sur les deux genoux, se bourra la poitrine de coups de poing et sanglota :
« Grâce !… Miséricorde !… »
Ferrière prit sa dague d’une main, une bourse de l’autre et présenta les deux objets à la vieille prosternée, en disant :
« Choisis. »
La mère Culot s’attendait à recevoir le coup mortel. En entendant ce mot, elle leva le nez. Elle vit la bourse dans la main gauche ouverte, la dague au bout du poing droit. Elle comprit sur-le-champ ce qu’on voulait d’elle. Elle avait bien peur de Rospignac. Mais Rospignac était loin… Tandis que la dague de Ferrière était suspendue sur elle. Entre la menace immédiate et la menace lointaine, elle n’hésita pas une seconde. Elle se souleva à demi, allongea une griffe preste et subtile et escamota la bourse.
Ferrière remit la dague au fourreau.
La vieille se redressa. Elle ne gémissait plus. Ferrière n’eut même pas besoin de l’interroger. Ce fut elle qui, avec une inconscience cynique, prononça :
« Vous voulez savoir où est la jolie diseuse de bonne aventure ? »
Ferrière était si ému qu’il ne put répondre que par un signe de tête.
La mère Culot ne gémissait plus, mais cela ne veut pas dire qu’elle se sentait pleinement rassurée. Voulant justifier son nom, elle eut l’impudence de poser des conditions.
« Si je vous dis où elle est, aurai-je la vie sauve ?
– Foi de gentilhomme, oui, promit Ferrière. Mais tu diras tout. »
La vieille l’observa de son œil torve. Elle fut satisfaite : avec un visage loyal comme celui-là, elle sentait que la parole donnée serait respectée. Elle commença à se sentir rassurée. Et elle calcula aussitôt que puisque la trahison était inévitable et que cette trahison pouvait lui coûter la vie, au moins, fallait-il en tirer le plus de profit possible. Et elle larmoya :
« C’est ma ruine que vous me demandez
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