Fiorinda la belle
répondit : « Les drôles auront rencontré quelque drôlesse de leur acabit et ils s’attardent à la lutiner… Ils choisissent bien leur temps vraiment. »
Il ne croyait pas si bien dire.
Il n’y pensa plus, suivit des yeux la vieille, lui laissant reprendre l’avance qu’elle avait perdue.
La vieille s’éloignait de plus en plus de la Grange-Batelière, se rapprochait de l’égout. Il comprit qu’elle allait le franchir. En effet, elle passa sur une planche qui était jetée là et tourna encore une fois à gauche. Devant elle, assez loin encore, se dressait la masse de pierre du château des Porcherons. Autour du château on voyait quatre ou cinq maisons de campagne éparses. Elle se dirigeait directement sur ce groupe d’habitations.
Beaurevers comprit qu’elle touchait au terme de sa course. Il allongea le pas, ne voulant pas courir le risque de la voir disparaître tout à coup sans savoir au juste dans quelle maison elle était entrée.
La prairie sur laquelle il se trouvait était un ancien marais desséché. Elle était piquée d’arbres et, çà et là, on y voyait quelques haies, quelques buissons. Le terrain, encore mal asséché, était gluant, glissant. Beaurevers s’avança vers la planche, négligeant de surveiller ces quelques haies et buissons. Peut-être agit-il ainsi pour se punir lui-même « d’avoir eu peur ». Peut-être avait-il simplement hâte d’en finir.
Il eut tort. Près de la planche il y avait précisément un de ces petits buissons dont nous venons de signaler l’existence. Si Beaurevers avait fouillé ce buisson, il eût découvert que, derrière ce buisson, ils étaient six hommes, couchés à plat ventre dans la boue, qui suivaient attentivement tous ses mouvements. Et parmi ces six il eût reconnu Rospignac et Guillaume Pentecôte.
Or, après le passage de la vieille, Guillaume Pentecôte avait donné une forte secousse à une corde qu’il tenait à la main et qui plongeait dans l’égout au bord duquel il se trouvait. Cette corde était fixée, par l’autre bout, sous la planche. En sorte que cette planche se trouva ainsi légèrement déplacée.
Ceci s’était accompli à un moment où Beaurevers était encore trop loin pour voir cet imperceptible déplacement. Puis il avait passé la corde à deux de ses hommes qui l’avaient enroulée autour de leurs poignets et s’étaient arc-boutés comme des gens qui se préparent à donner un effort puissant et concerté. Et, rampant dans la boue, il s’était placé à l’extrémité du buisson, à côté de son maître, la main crispée sur le manche d’une courte massue.
Et Rospignac, sur un ton menaçant, lui souffla à l’oreille :
« Surtout, ne le tue pas !… »
Guillaume Pentecôte plia les épaules de l’air de dire qu’il ferait de son mieux.
Beaurevers arriva devant la planche. Par habitude, il la tâta du pied, avant de s’engager dessus. Il sentit qu’elle était assez instable. Mais comme la vieille venait de passer à l’instant dessus, il se contenta de la caler d’un solide coup de pied et mit les deux pieds dessus.
Alors les deux estafiers de Rospignac, réunissant leurs forces, tirèrent avec ensemble et brusquement sur la corde.
La planche oscilla fortement.
Beaurevers perdit l’équilibre. Il se vit sur le point de piquer une tête dans les eaux troubles et infectes de l’égout. D’un puissant coup de rein, il se rejeta en arrière en lançant un furieux :
« Tripes du diable !… »
Ce fut tout ce qu’il put dire et faire. La massue de Guillaume Pentecôte s’abattit à toute volée sur son crâne en un geste foudroyant.
Beaurevers tomba dans la fange, la face en avant.
Au même instant Rospignac lui sauta sur les épaules. Son premier soin fut de lui arracher sa dague et sa rapière qu’il jeta dans l’égout. Guillaume Pentecôte et ses hommes qui les avaient rejoints le ficelèrent en un tour de main, des pieds à la tête.
Ils respirèrent quand ils virent qu’il était si bien ligoté qu’il ne pouvait pas esquisser un geste.
Alors Rospignac et Guillaume Pentecôte s’occupèrent de vérifier l’état de leur prisonnier. Et ils virent qu’il ne donnait pas signe de vie. Guillaume Pentecôte s’inquiéta :
« La peste soit de moi, j’ai peut-être eu la main trop lourde ! »
Rospignac lui jeta un coup d’œil tellement chargé de menaces qu’il se sentit pâlir. Et d’une voix effrayante :
« Si tu me l’as
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