Fiorinda la belle
là… De ce coup, je perds les sommes que l’on m’avait promises… sans compter qu’on ne me fera pas grâce… Ah ! pauvre de moi ! que vais-je devenir ? »
Les quatre braves firent entendre en chœur un grondement menaçant qui avertit la vieille qu’il eût été suprêmement dangereux d’insister. S’il n’y avait eu qu’eux, l’affaire eût été vite réglée. D’autant que la vieille mégère, devant cet accueil singulièrement éloquent, regrettait déjà d’avoir esquissé cette imprudente manœuvre.
Mais Ferrière était jeune, généreux, facile à attendrir. Et puis, il était amoureux, et pour retrouver celle qu’il aimait, il eût sacrifié sa fortune sans hésiter. Il contint du geste ses compagnons et promit encore :
« Je vous dédommagerai. Si vos indications me font retrouver ma fiancée, je vous promets dix bourses pareilles à celle que je viens de vous donner. »
L’indignation des braves éclata en protestations violentes :
« Dix coups de pied dans son ventre !…
– Dix coups de poing sur son museau de chienne !…
– Damnée sorcière !…
– Entremetteuse du diable !… »
Ferrière les apaisa encore une fois et confirma :
« Ce qui est promis est promis. »
Ayant obtenu plus qu’elle n’aurait osé l’espérer, la mère Culot se décida à parler :
« Elle est, dit-elle, dans cette maison autour de laquelle vous êtes venus rôder et qu’on appelle dans le quartier le bastillon du Pré-aux-Clercs, à cause qu’elle ressemble à une petite forteresse. »
Dès l’instant où elle était royalement payée – car la vieille coquine savait fort bien que Ferrière tiendrait toutes ses promesses –, elle ne trahit pas à moitié. D’elle-même elle donna toutes les indications qui pouvaient leur être utiles : description de l’intérieur de la maison, désignation exacte de la chambre occupée par Fiorinda, nombre de gardes, etc. C’est qu’elle se jugeait intéressée à ce que l’affaire réussît… puisqu’elle ne serait payée qu’en cas de réussite seulement… Sans le savoir, Ferrière avait trouvé le meilleur moyen de lui délier la langue à fond.
Elle alla même plus loin : elle leur remit spontanément la clef de la maison qu’elle avait sur elle. La possession de cette clef était de nature à faciliter grandement leur entreprise. Les braves, qui le comprirent, regrettèrent un peu moins l’argent promis par Ferrière.
Elle pensait, ayant dit tout ce qu’elle savait, en avoir fini avec eux.
Mais quelle que fût son impatience de voler au secours de sa fiancée, Ferrière n’oubliait pas son ami Beaurevers. Et il fallut que la vieille s’expliquât pareillement à ce sujet.
Elle raconta ce qui s’était passé. Mais ici elle eut des restrictions, parce qu’elle craignait la colère des quatre fidèles qu’elle savait capables d’oublier la promesse de Ferrière et de la massacrer séance tenante, s’ils apprenaient que leur maître avait été meurtri. Elle jura donc qu’elle avait entraîné Beaurevers jusqu’à la Grange-Batelière, que son rôle s’était borné à ceci et qu’elle ignorait ce qui s’était produit ensuite.
Pressée de questions par Ferrière et ses compagnons, elle leur dit sans s’expliquer davantage :
« Je ne sais rien. Vous me hacheriez menu comme chair à pâté que je ne pourrais pas vous dire autre chose… Cependant… pendant que vous y serez, ne quittez pas le bastillon du Pré-aux-Clercs avant d’avoir visité les caves… Ne m’en demandez pas davantage. »
Ils comprirent qu’ils avaient tiré d’elle tout ce qu’ils en pouvaient tirer. Ils avaient hâte de courir au Pré-aux-Clercs. Ils se précipitèrent.
« Un instant, dit Ferrière, qui nous dit que lorsque nous serons partis, elle n’ira pas aviser Rospignac ? » La vieille s’effraya :
« Pour qu’il m’étripe ?… Merci Dieu !… »
Trinquemaille avait déjà entrebâillé la porte du cabinet et fait un signe au cabaretier. L’empressement avec lequel il accourut témoignait de l’estime particulière qu’il professait pour ces clients de choix. Trinquemaille lui dit d’une voix rude :
« Il ne faut pas que cette sorcière d’enfer sorte de chez toi avant demain matin. Tu as compris ?
– Bon, grogna le cabaretier, elle ne sortira pas, soyez tranquilles.
– C’était bien inutile, protesta la vieille, je ne vous trahirai pas. »
Et naïvement
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