Fleurs de Paris
renfonça
dans les épaules, se courba, et d’un bond, il fut sur Ségalens. Au
même instant, il jeta un grognement de douleur et recula en
vacillant, la face sanglante… Ségalens l’avait saisi par la nuque
de la main gauche, et son poing droit, en trois ou quatre coups
brefs, avait puissamment martelé le visage du bandit.
Aveuglé par le sang, ivre de rage, Biribi
avait reculé pour s’essuyer et recommencer l’attaque.
Et, comme il portait les deux mains à sa
figure, Ségalens, à son tour, fonça sur lui… Le corps-à-corps fut
bref ; Biribi, étourdi par les coups, n’y voyant plus, les
yeux noirs, le nez écrasé, Biribi étendit ses deux mains pour
saisir son adversaire à la gorge. À ce moment, il tomba à la
renverse, sur le dos, et Ségalens fut sur lui, le maintenant par
les épaules, les genoux sur sa poitrine.
– Tu n’as jamais su ce que c’est que la
boxe française, dit Ségalens. Que dis-tu de ce
croc-en-jambe ?…
Biribi tenta un suprême effort pour se
dégager. Mais les genoux de Ségalens lui défonçaient la poitrine,
ses mains, pareilles à des crampons de fer, réduisaient les bras du
bandit à l’immobilité absolue.
– Je dis que je suis fadé, gronda Biribi
d’une voix sombre. J’ai mon compte ! Jean Nib et vous, vous
êtes les seuls à pouvoir vous vanter d’avoir tombé Biribi… Et
encore Jean Nib m’a pris en traître.
Et le bandit leva sur Ségalens un regard où la
haine et l’admiration se mêlaient à dose égale.
– Si je te lâche, qu’est-ce que tu
feras ? reprit Ségalens.
– Si vous me lâchez, dit-il avec un
soupir effrayant, vous pouvez être sûr d’y passer… Oh ! pas
tout de suite, bien sûr… Mais demain ou dans huit jours, ou
n’importe quand, c’est moi qui vous crèverai…
– Réponds à mes questions, et nous serons
quittes. Pourquoi, tout à l’heure, as-tu parlé de Marie
Charmant ?
– Parce que La Veuve m’a dit que vous
avez un pépin pour elle…que vous en pincez, quoi !
– Et… cette jeune fille… reprit Ségalens
d’une voix qui s’efforçait de ne pas trembler, peux-tu me dire ce
qu’elle est devenue ?
– Moi ? Je sors de l’hôpital. Il y a
près d’un mois que je n’ai revu la rue Letort…
– Ainsi, tu ne sais rien ?…
– Rien de rien. C’est tout ?…
– C’est tout. Tu peux t’en aller…
Ségalens se retourna brusquement et, à grandes
enjambées, se dirigea vers la barrière… Biribi le regarda tant
qu’il put le suivre dans la nuit. Puis, lorsque le jeune homme eut
disparu, il continua son chemin le long des fortifications pour
rentrer dans Paris par une autre porte.
– C’est drôle, songeait-il, on aurait dit
que le pante avait envie de pleurer… La bouquetière a disparu. Quoi
qu’elle est devenue ?… Je le saurai, moi !… Comme
l’autre… comme Rose-de-Corail.
Et la sauvage imagination de l’escarpe évoqua
ces deux figures si dissemblables : Marie Charmant,
Rose-de-Corail… Un instant, il les mit en balance, il les compara
comme pour faire un choix.
Puis il gronda :
– Tant pis ! il me les faut toutes
deux ! La peau du pante ! La peau de Jean Nib !… Et
à moi les deux gonzesses !…
Chapitre 43 ADELINE DE DAMART
De temps à autre, Adeline interrompait sa
lecture pour jeter un regard sur Gérard. Mais lui, alors, comme
gêné par l’ardente tendresse qu’il lisait dans ce regard noir,
murmurait :
– Continuez, ma chère, vous lisez
admirablement.
– Vous êtes bien ? disait
Adeline.
– Aussi bien que possible, chère
amie…
– Vous ne souffrez pas ?… plus du
tout ?…
– C’est fini je vous assure. Je me sens
aussi fort qu’avant d’avoir reçu le coup de couteau de ce
sauvage…
Alors, avec un soupir, Adeline reprenait sa
lecture des journaux.
Gérard, les yeux à demi fermés, évoquait
l’image de Lise…
Sa blessure était cicatrisée. Comme il le
disait lui-même, il se sentait aussi fort qu’avant d’avoir reçu le
coup de couteau de Jean Nib. Depuis deux jours, Gérard guéri,
Gérard, après ce long tête-à-tête avec Adeline, se demandait ce
qu’il allait faire maintenant…
Ce soir-là, au moment où Adeline finissait un
journal et allait en prendre un autre, Gérard se leva du canapé où
il était à demi couché, et se mît à se promener lentement. Adeline
lisait les échos mondains, mariages, fêtes, décès… Gérard la vit
pâlir.
– Qu’y a-t-il ? Vous
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