Fleurs de Paris
rien de commun entre Adeline et
moi…
– Plus rien que le nom ! dit Lise.
Même, si j’osais concevoir qu’Adeline est morte et que vous êtes
libre, comment Lise, mariée à Georges Meyranes, pourrait-elle
épouser Gérard d’Anguerrand ?…
– Celle qui a épousé Georges Meyranes
s’appelait Lise, sans autre nom, dit Gérard avec une effrayante
simplicité. Celle qui épousera Gérard s’appelle Lise de Damart. Il
n’y a aucun registre d’état civil qui puisse établir que ces deux
jeunes filles n’en font qu’une !
Le tremblement de Lise s’accentua. Que Gérard
parût si à l’aise dans ces spéculations établies sur le faux en
écriture publique, cela lui causait une sorte de vertige.
Ces arguments l’épouvantaient.
Elle sentait qu’elle allait soulever le voile
de mystère qui recouvrait la vie de cet homme, et elle en éprouvait
une insurmontable frayeur.
– Je t’ai convaincue, n’est-ce
pas ?… Aie confiance, toujours !… Pour toi, pour être à
toi à jamais, mon esprit est capable de ressources inépuisables, et
mon courage ne faiblira devant aucune complication…
– Gérard, je veux savoir… oh !
pardonne-moi, mais cela me tourmente trop… je veux savoir pourquoi
tu t’es présenté à maman Madeleine sous le nom de Georges Meyranes…
je veux savoir pourquoi on t’a arrêté le jour… le jour où j’étais
si heureuse…
Gérard eut en lui un grondement furieux.
– Voilà qu’elle veut savoir,
maintenant ! Écoute, reprit-il, tu m’obliges à une confession
pénible. Mais puisque tu le veux, je te dirai tout…
Il se promena quelque temps, combinant ce
qu’il allait dire.
– La vérité, Lise, dit tout à coup
Gérard, c’est que j’ai eu le malheur de ne pas rencontrer tout de
suite dans ma vie un ange comme toi… J’ignorais l’amour, et l’amour
était le seul sentiment qui pouvait sauver un homme tel que
moi…
« Lorsque je me trouvai maître de ma part
de fortune, habitué au luxe, incapable de compter, je me jetai à
corps perdu dans les amusements de la grande vie parisienne… Les
courses, le jeu, en peu de temps, m’eurent entièrement ruiné. Alors
je m’adressai à mon père. Le baron d’Anguerrand demeura inflexible…
Sa sévérité devenue de la dureté, ses malheurs passés, raison
peut-être dérangée par la perte de mon pauvre frère et de ma
malheureuse sœur, tout cela fit qu’il fut pour moi non un père,
mais un juge impitoyable pour des folies de jeune désœuvré… De là
est venu mon malheur, Lise ! Sans argent, je ne perdis pas
courage, pourtant. Je me mis au travail, moi qui n’avais jamais
travaillé. J’entrai chez un agent de change sous ce nom de Georges
Meyranes…
« Affolé par la misère, car les cinq
cents francs que je gagnais péniblement par mois, c’était la
misère, je résolus de me refaire une fortune en jouant. Je perdis.
Je puisai dans la caisse. Je fus dénoncé. Je sus qu’on me
cherchait… Il ne me restait qu’un refuge contre le
déshonneur : c’était la mort !… La destinée, Lise, voulut
que tu te penchasses sur moi au moment où j’essayais de me tuer… Je
le vis comme, dans un rêve… et il me sembla que je pouvais être
heureux encore… Tu me soignas, tu me guéris… Lorsque je voulus
partir, je m’aperçus que je t’aimais… Ô Lise, si tu ne m’avais pas
aimé, je fusse parti, j’eusse gagné l’Amérique ; ce nom de
Georges Meyranes que j’avais adopté, je l’eusse rendu honorable
entre tous… Mais tu m’aimais ! et pour être à toi, Lise,
j’eusse risqué la mort… Je risquai le déshonneur et la prison… Ce
qui devait arriver, arriva !… Lorsque notre pauvre maman
Madeleine te donna à moi, je n’eus pas le courage de tout avouer,
de dire que je ne m’appelais pas Georges Meyranes, que j’étais un
criminel, un homme déshonoré par le vol… Là fut ma faute…, et j’en
fus cruellement puni, puisque je te perdis !
« Donc, je n’eus pas le courage de m’en
aller, de refuser le bonheur qui s’offrait à moi. Vint le jour béni
où, devant Dieu et devant les hommes, nous jurâmes de nous aimer
toujours. Est-ce que mon serment avait moins de valeur parce que
j’avais adopté un autre nom que celui qu’on m’a donné malgré moi à
ma naissance ? Je fus sincère, Lise. Mon serment de fidélité,
d’amour, je l’ai respecté, je le respecterai jusqu’à mon dernier
souffle…
Une flamme d’orgueil pur, une
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