Fleurs de Paris
redouter ? Que dois-je espérer ? Y a-t-il en toi
un peu de pitié pour le criminel que je suis ? Ou dois-je
porter le poids de ton mépris ?
– Pitié ? Mépris ? dit Lise en
levant vers lui ses yeux lumineux. Si d’autres ont pitié de toi,
mon Georges, viens vers moi et je te consolerai de leur pitié. Si
d’autres te méprisent, viens à moi, et je te consolerai de tous les
mépris. De moi, tu n’as rien à redouter. Tes crimes, tes fautes,
j’en pleurerai peut-être, mais pour le mal qu’ils te font à
toi-même. De moi, tu n’as rien à espérer, puisque je t’ai donné
toute ma pensée. Je t’aime ! Georges, et fusses-tu maudit,
proscrit, je ne crois pas que mon amour en subisse une atteinte… Ne
me dis rien maintenant… laisse-moi penser à notre situation… Sûre
de ton amour, sûre que j’ai le droit de t’aimer, que ne puis-je
entreprendre ?… Je crois que je puis te réconcilier avec ton
père, car j’ai le droit de demander au baron d’Anguerrand un peu de
bonheur pour tout le malheur dont il a frappé mon père et ma mère…
Va… et laisse-moi te redire une seule fois la parole que tu
m’écrivis et que, dans mes heures de désespoir, alors même que je
voulais mourir, mes lèvres répétaient comme une assurance de
bonheur « Aie confiance !… »
Gérard tomba à genoux, saisit les mains de
Lise, et les couvrit de baisers furieux.
Quelques minutes plus tard, après de suprêmes
recommandations faites à Pontaives, il s’élançait de la villa en
grondant au fond de lui-même :
– Oui : redescendre une dernière
fois dans l’enfer parisien pour remonter ensuite et à jamais vers
le ciel de l’amour ! Reprendre pour une dernière fois ma place
dans la pègre, pour m’installer ensuite à jamais dans ma situation
de millionnaire ! Tenir à la fois ces deux éléments de
félicité : l’amour et l’or !… L’amour, je l’ai !
Jamais homme n’a été aimé comme je le suis… L’or, je vais le
conquérir !… Un crime encore, et ce sera tout !… Mais,
pour commencer, il me faut les premiers mille francs
indispensables… Dans quatre jours au plus tard, il me faut
cinquante mille francs… et on verra !
Chapitre 48 LA FILLE ET LE PÈRE
Lorsque Pierre Gildas se vit rue Letort,
précisément dans cette maison qu’habitait Ségalens, et non dans une
autre, il fut d’abord effaré de cette sorte de fatalité qui le
ramenait là.
Longtemps il pleura. Et Ségalens s’ingénia à
apaiser l’homme de son mieux. Mais l’homme, après cette crise,
tomba dans un abattement profond. Au bout de quarante-huit heures,
le soir, comme Ségalens rentrait avec les éléments d’un dîner,
l’homme se dressa, appuyé sur son bâton, et lui dit avec une sourde
irritation :
– Je m’en vais. Que vous m’ayez tiré de
l’eau, que vous m’ayez forcé à vivre, passe ! Mais que vous
m’ayez amené ici et non ailleurs, vous ne saurez jamais combien
cela me fait de mal. (Il est fou, songea Ségalens.) Je ne resterai
pas ici. Pour sûr, vous êtes un brave homme. Si ma mort pouvait
vous être utile, je mourrais volontiers et avec plus de joie que la
nuit, où là-bas, sous ce pont, je me suis laissé glisser dans l’eau
qui m’appelait… Je ne veux pas rester ici. Je deviendrais fou. Ne
m’interrogez pas là-dessus. Je ne vous dirais rien. L’essentiel est
que je m’éloigne le plus tôt possible de cette maison.
– Mon cher monsieur, dit Ségalens, s’il
vous plaît de vous en aller, la porte est ouverte. Écoutez. J’ai un
oncle. Il s’appelle Chemineau, mon oncle. Il a une petite propriété
dont il ne prend aucun soin. Il lui arrive bien, par-ci, par-là, de
s’intéresser à un carré de jardin mais, en somme, il a là un
terrain qui demeure en friche. Ce n’est pas très grand. Assez pour
vous bâtir une maisonnette où vous seriez chez vous. Vous ferez du
terrain ce que vous voudrez. Mon oncle Chemineau est toujours
plongé dans ses calculs. Vous ferez pousser pour lui des fleurs et
des légumes. Peut-être ne vous adressera-t-il pas dix paroles dans
un mois. Mais vous, vous aurez à faire pousser des légumes.
– C’est mon affaire. Je connais l’élevage
des poules. Votre oncle aura son poulet ou son pigeon à déjeuner
quand il en aura envie.
– Admirable !… Donc, vous restez
ici, le temps d’écrire là-bas ?
– J’attendrai à Paris. Mais pas ici.
– Eh bien ! attendez
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