Fleurs de Paris
lève… Il vise !… Adeline
s’écroule sur ses genoux, la figure dans les mains, préférant
encore
être tuée
… Gérard ferme les yeux… Ils vont
mourir !…
Et… tout à coup, le bras du baron retombe.
Adeline, de la terreur passe à la haine et
grince des dents. Gérard jette un hurlement de joie délirante,
car il a trouvé le moyen d’attendrir son père
, car, à ce
moment, une porte s’est ouverte…
Une jeune fille vêtue de noir s’avance, les
yeux baissés, les mains jointes, belle comme l’ange du pardon… et
c’est Lise… c’est celle que Gérard appelle
Valentine… sa
sœur !
… Et Lise… la pauvre petite Lise, d’une voix de
douceur infinie, murmure, en touchant le bras du baron :
Grâce pour eux… grâce pour lui !…
– Madame… mademoiselle… gronde le baron.
Vous ! Vous ici !…
– Moi, monsieur, répond Lise avec une
sorte de monotonie concentrée, tandis que ses paupières demeurent
obstinément baissées. N’est-ce pas presque un droit pour
moi ?… presque autant que pour madame ?…
Sapho se redresse ; les deux épousées,
pour la première fois, prennent contact, comme deux adversaires
dont l’un, sûrement, tuera l’autre…
– Le droit de la maîtresse, prononce
Adeline avec un sourire funeste, ne peut être le droit de l’épouse
légitime, et je pense…
– Silence ! tonne Gérard dans une
telle explosion que Sapho, livide, recule et se courbe.
– Monsieur, continue Lise de sa même voix
très basse, comme si elle ne venait pas d’entendre ce qu’à dit
Adeline, oh ! monsieur, je sais, je comprends… vous êtes ici
en justicier… et pourtant, je vous demande leur grâce… Qu’ils
vivent !… et qu’ils sachent que s’il y a une pensée pour eux
au fond de mon malheur, c’est un vœu de bonheur… le même vœu que
l’on faisait pour moi le jour de mon mariage…
Madame, dit le baron avec une sourde
impatience, rentrez, je vous prie !…
Car il s’irrite de l’intervention de Lise.
Avoir pitié d’elle, c’est bien, – mais c’est tout !… Qu’elle
ne s’avise pas de se dresser entre les condamnés et le
justicier !
Rentrez ! commanda-t-il rudement. Je le
veux !…
« Je vous en prie, mon enfant, reprend-il
plus doucement. Lorsque, dans l’église, je vous ai prise mourante
dans mes bras, lorsque j’ai compris que vous aussi vous étiez une
victime de ce misérable, lorsque, au récit de votre infortune, je
vous ai vue si pitoyable et si innocente, j’ai juré que vous seriez
vengée du même coup que moi-même…
« Allons rentrez, ma pauvre petite…
rentrez dans cette chambre qui fut celle de ma fille Valentine… un
ange comme vous… rentrez, car vos yeux ne doivent pas voir ce qui
va se passer ici… car voici l’heure du châtiment… fussiez-vous
envoyée de Dieu, vous ne sauveriez pas ces deux démons !…
– Monsieur… balbutie Lise dont la tête
s’égare, dont l’être tout entier frissonne à la pensée qu’elle est
impuissante à sauver celui qu’elle adore… quand même… malgré
tout !…
– Mademoiselle, prononce Adeline avec son
terrible sourire, tient à assister à l’agonie de mon mari :
c’est une revanche comme une autre !
– C’est assez ! gronde le baron
d’Anguerrand. J’ai voulu vous épargner un spectacle hideux. Vous
persistez à rester ?… C’est bon ! L’exécution aura lieu
devant vous…
« Allons, vous autres ! continue le
baron, décidez-vous !… Prenez-vous le poison ?…
Choisissez-vous le revolver ?… Buvez ! Buvez donc !…
Non ?… Eh bien !…
Le revolver se lève et se braque sur Gérard…
Lise défaille… Adeline, reprise de toute sa terreur, comprend
qu’elle va mourir… que c’est la fin… Le baron va presser sur la
détente…
À ce moment, Gérard prononce d’une voix très
calme :
– Mon père, je vous demande une minute de
vie…
– Lâche ! Tu as peur !
– Non. J’ai un secret à vous révéler…
important non pour moi qui vais mourir, mais pour vous qui allez
vivre !…
– Parle !…
Mon père, loin de moi la pensée de vous
disputer ma misérable vie… Je suis prêt à vider la coupe de poison
que vous avez préparée pour ma nuit de noces…
Car je suis las… bien las… comme le jour où,
devant la porte de cet hôtel…
Gérard jette un regard sur Lise… un brusque
sanglot l’étreint à la gorge, un vrai sanglot, sincère, lamentable
comme son amour… et Lise,
Weitere Kostenlose Bücher