Fleurs de Paris
avec la sublime divination de l’amour,
comprend ce sanglot… Elle palpite, secouée jusqu’au fond de son
être, et murmure en elle-même :
– Et pourtant… c’est moi qu’il
aime !…
– Veuillez m’écouter, baron d’Anguerrand,
reprend Gérard, et vous aussi, Adeline !… et vous aussi… Lise…
car le secret que je ne veux pas emporter avec moi vous intéresse
tous trois… Il éclaire ce qu’il y a de fatal dans ma vie depuis
huit mois… il prouve peut-être que nous sommes ici non pas des
coupables et des justiciers en présence, mais simplement des
malheureux digne de compassion… Mon père, vous me saviez capable de
crime, mais aussi, capable d’amour. Dans la fascination insensée
que l’or exerce sur moi, vous saviez que mon cœur peut contenir des
dévouements étranges. Sachant cela, sachant que j’adorais cette
enfant… vous êtes-vous demandé pourquoi je n’ai rien tenté pour la
revoir ?… Adeline, vous saviez qu’en vous épousant, en vous
donnant mon vrai nom, j’obéissais seulement au pacte qui nous lie…
vous saviez que je ne vous aimais pas… que j’en aimais une autre…
Vous êtes-vous demandé pourquoi, si facilement, j’ai renoncé à
cette autre ?… Lise ! ô Lise ! vous que j’ai tant
aimée, hélas ! vous qui avez sûrement compris la puissance et
la sincérité de ma passion, vous qui avez reçu la lettre où je vous
jurais ardemment mon retour… vous êtes-vous demandé pourquoi je ne
suis pas revenu à vous ?… Écoutez, baron d’Anguerrand !
Écoutez, Adeline ! Écoutez Lise !… Si je n’ai pas, avec
la puissance de l’or conquis au prix d’un parricide, exécuté ma
volonté… si je n’ai pas régularisé le faux mariage que les
circonstances m’avaient imposé… si je n’ai pas fui… ou tué Adeline
de Damart pour revenir à celle que j’adorais, c’est qu’il y a en
moi un levain d’honnêteté qui se révolte contre
l’inceste !…
Un triple cri terrible, effrayant, jaillit de
trois bouches et réveille de sourds échos dans l’hôtel. Adeline
étouffe le rugissement de sa haine décuplée. Lise s’abat à genoux,
le visage dans les deux mains. Le baron, d’un regard vacillant,
interroge son fils…
– La chose affreuse, qui me confond de
stupeur et d’horreur quand j’y songe, c’est vous, mon père, qui me
l’avez apprise ! poursuit Gérard dans un râle rapide. Là-bas,
dans le manoir de Prospoder, au moment où je levais le couteau…
vous avez dit… oh ! vous avez dit que la dernière trace de
Valentine… de ma sœur… vous l’avez perdue… une nuit de Noël… sur la
route d’Angers, aux Ponts-de-Cé !…
– Eh bien ? hurle le baron
d’Anguerrand qui, jetant son revolver, fou d’espoir, saisit son
fils par le bras.
– Eh bien ! tonne Gérard. Regardez
et écoutez, mon père !… Écoutez ce gémissement de honte et de
douleur éperdues sur les lèvres de Lise ! Regardez cette
infortunée qui a compris, elle… et que la vérité foudroie !…
Demandez-lui son nom ! Demandez à celle que j’ai adorée,
demandez à l’enfant trouvée quand, où, comment elle fut ramassée
dans la neige, bleue de froid, mourante de faim, par des métayers
qui, une nuit de Noël, revenaient d’Angers aux
Ponts-de-Cé !…
D’un bond, le baron d’Anguerrand est sur Lise…
Avec une sorte de violence il la relève, écarte ses deux mains, la
contemple.
– Oh ! bégaie Lise, laissez-moi
mourir !… je veux mourir !…
Quelques secondes d’un silence tragique :
le père scrute, analyse, détaille le visage de la jeune fille.
– Mon enfant… par grâce… par pitié… il
faut me répondre… me parler… Voyons, ne perdons pas la tête… faites
appel à toutes vos forces… Voyons… dites… vous êtes une enfant
trouvée ?…
Lise, d’un signe de tête désespéré, fait signe
que oui…
– Quand avez-vous été trouvée ?…
oh !… rappelez-vous !… un effort !…
– Il y a… quatorze ans… balbutie Lise
dans un désespoir sans nom…
– Votre âge ?… Votre âge
d’alors ?…
– Environ… trois ans… m’a-t-on dit…
– Et vous avez été trouvée la nuit de
Noël ?… reprend le baron prêt à défaillir lui-même. La nuit de
Noël ?… Sur la route d’Angers aux Ponts-de-Cé ?…
– Oui ! répond Lise dans un souffle
d’agonie.
Le baron d’Anguerrand a jeté un cri
déchirant :
– Valentine !…
Lise demeure immobile, blanche
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