Fleurs de Paris
protection que je vous offre, vous
n’êtes plus Pierre Gildas. Vous êtes Robert Florent. Vous avez des
papiers au complet. Vous avez une identité nouvelle. C’est une vie
toute neuve qui s’offre à vous. Dans peu de mois, peut-être dans
peu de jours, les remords qui vous tourmentent s’aboliront…
Seulement, si vous acceptez cela, dites-vous bien qu’il faudra
m’obéir aveuglément et ne jamais chercher à savoir ce que vous
devez ignorer. Voilà tout ce que j’exige de vous. Quant à moi, à
partir de cette minute, pour moi, vous êtes Robert Florent, mon
intendant… Allez maintenant porter cette lettre.
Pierre Gildas s’éloigna. Peu de temps après,
il arrivait à Neuilly devant la villa Pontaives, au moment où
Biribi et ses acolytes achevaient leur sinistre besogne.
Tout à coup, Pierre Gildas vit sortir trois
hommes qui en portaient un quatrième, – un par les épaules, les
deux autres par les jambes… Le corps fut déposé près de la grille.
Les hommes rentrèrent (pour ratisser la fosse on s’en
souvient).
– Voilà, mon vieux Nib de Nib !
ricana l’un des porteurs. Attends-nous une minute, t’impatiente
pas…
Pierre Gildas, un instant, considéra ce corps
immobile.
– C’est là Jean Nib, murmura-t-il. Ils
l’ont tué !…
Plus violente, plus irrésistible, la curiosité
s’emparait de lui, de voir cet homme qui, à sa place, était
l’assassin du marquis de Perles… Il se mit à ramper, jusqu’à ce
qu’il touchât presque le visage…
Et alors il vit que, dans ce visage, les yeux
étaient ouverts, des yeux vivants, des yeux emplis d’une infinie et
morne douleur, des yeux dont le regard semblait être un sanglot
visible…
Pierre Gildas recula… Il se renfonça dans un
coin… Il se terra au pied du mur et songea :
– Il vit… il souffre désespérément… De
quoi souffre-t-il ?… Ce n’est pas de ses blessures, car il
gémirait… Non, la souffrance est dans lui… Il ne bouge pas… Il ne
peut pas bouger… Il est rudement blessé…
Comme il songeait ainsi, les hommes reparurent
et, avec beaucoup de soins, refermèrent la grille.
Alors ils saisirent Jean Nib. Et Pierre Gildas
entendit l’un des sinistres porteurs qui ricanait :
– Allons, mon vieux Jean Nib, tu vas
boire à la grande tasse !
– Oh ! frissonna Gildas, est-ce
qu’ils vont le jeter à la Seine ?…
Il se mit à suivre, c’est-à-dire à ramper, à
se traîner sur le sol, si près du groupe funèbre, si près en vérité
que, malgré la nuit, Biribi l’eût aperçu s’il s’était retourné une
seule seconde. Mais Biribi ne se retourna pas. Il ne pouvait pas
avoir l’idée de se retourner. Non qu’il eût la certitude absolue de
la solitude mais il n’était occupé que de Jean Nib, et la haine
satisfaite ne laissait place à aucune autre pensée.
Pierre Gildas suivit donc sans être vu. Il
n’avait aucune intention précise. Seulement, il se disait que
c’était une chose affreuse de jeter à l’eau cet homme, ce blessé à
qui il restait assez de vie pour comprendre l’horreur de sa
situation, et pas assez pour tenter la moindre défense.
Et cet homme, c’était celui qu’on accusait de
l’assassinat du marquis de Perles !
*
* * * *
Tout à coup, Pierre Gildas entendit la chute
du corps dans l’eau ; puis le ricanement féroce des
bandits.
– Bon voyage ! grondait Biribi en
sautant de la barque et en s’éloignant rapidement.
– Arrevoir, beau masque ! disait
l’un de ses acolytes.
– Surtout, bois pas tout !
laisses-en un peu pour les aminches ! entendit encore Pierre
Gildas.
Les voix hideuses se turent. Les ombres des
bandits disparurent au fond de la nuit.
Pierre Gildas entra dans la barque, les
cheveux hérissés, le cœur étreint par une terrible angoisse, et il
regarda au loin les flots de la Seine couler paisibles. Mais il ne
voyait que les feux follets que les fanaux verts d’une péniche
endormie faisaient danser sur l’eau. Il regardait de toute son âme,
et, les dents serrées, les poings crispés, il songeait :
– Sacré lâche que je suis ! Si
j’avais voulu, je sauvais cet homme !… Et si je l’avais
sauvé, cela aurait payé la mort de
l’autre
!… Qui
sait si, d’avoir conservé une vie pour une autre que j’ai détruite,
ça ne m’aurait pas rendu le sommeil !…
À ce moment, à une trentaine de brasses dans
le courant, il aperçut à la surface de l’eau quelque chose qui
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