Fleurs de Paris
se
débattait…
Chapitre 58 EDMOND D’ANGUERRAND
Jean Nib était couvert de blessures, pas une
des blessures qui couvraient pour ainsi dire son corps n’était
mortelle, ni même grave. Soit hasard, soit que Jean Nib connût à
fond la science de la défense, soit enfin que les assaillants se
fussent trouvés en mauvaise position pour porter le coup définitif,
Jean Nib ne s’évanouit que par suite de la perte de sang.
Brusquement, Jean Nib entendit un étrange
bourdonnement à ses oreilles, une impression de froid l’envahit, du
froid qui n’était pas celui de l’agonie, du froid qui venait de
l’extérieur ; ses yeux, qu’il essaya d’ouvrir, ne perçurent
qu’un brouillard qui le touchait et l’enveloppait en bruissant, en
sifflant, en grondant… Jean Nib comprit qu’il était dans l’eau,
qu’il coulait à fond…
Cette glaciale, violente et soudaine
impression de froid opéra une révolution dans les sens d’abord,
puis aussitôt dans l’esprit de Jean Nib. Cette sorte d’anesthésie
qui l’avait paralysé disparut. En même temps, il retrouva toute sa
lucidité de pensée.
Il se laissa aller au courant de l’eau. Une
vingtaine de secondes s’écoulèrent ainsi. Et Jean Nib, entraîné par
le courant, se trouvait déjà bien loin de la barque d’où il avait
été précipité. Dans le même instant, il comprit qu’il était épuisé,
que non seulement il ne pouvait pas regagner le bord, mais encore
qu’il lui serait impossible de se maintenir à la surface.
C’était la fin. Il jeta autour de lui des yeux
hagards, et crut voir quelque chose qui venait à lui, et qui lui
fit l’effet d’un monstre bizarre. Il entendit que ce monstre avait
une voix humaine et disait : « Courage !… »
puis, ce fut tout ; il s’abandonna en murmurant le nom de
Rose-de-Corail, en se tordant en un dernier spasme, comme s’il, eût
cherché un baiser suprême.
*
* * * *
Lorsque Jean Nib ouvrit les yeux, il se vit
sur les dalles d’un quai. Un homme, à genoux près de lui, le
frictionnait. Il se sentait une extraordinaire faiblesse, mais
cette faiblesse ne ressemblait pas à celle qu’il avait éprouvée à
la suite de la bataille. Soit que les frictions de l’inconnu
l’eussent ranimé, soit même que la chute dans l’eau eût suffi à
amener une réaction contre cette sorte de coma où il s’était
enlisé, Jean Nib voyait et entendait distinctement ; il
pouvait remuer…
– Attendez, dit l’homme. Il y a là, sur
le quai, un caboulot de marinier qui ouvre. Je vais vous y
porter…
– Non ! murmura faiblement Jean
Nib.
– Non ? songea Pierre Gildas.
Parbleu ! ajouta-t-il en frissonnant, puisqu’il est poursuivi
pour le meurtre du marquis, il ne veut pas être vu.
Pierre Gildas s’élança vers le cabaret qu’il
venait de signaler et dont, en effet, un garçon tirait les
volets.
– Une chopine d’eau-de-vie dans une
bouteille ! fit-il en jetant une pièce d’argent sur le
comptoir.
Quelques instants après Pierre Gildas revint
au bord de l’eau, s’agenouilla près de Jean Nib et lui plaça entre
les lèvres le goulot de la bouteille. Et Jean Nib se mit à boire
avidement.
Une joie étrange gonflait la poitrine de
Pierre Gildas…
Jean Nib, galvanisé par l’espèce de vitriol
qu’il venait d’absorber, sentait les forces lui revenir.
– Voyons, fit Pierre Gildas, essayez de
vous lever, tenez-vous bien, cramponnez-vous à moi…
– Qui êtes-vous ? demanda Jean
Nib.
– Je m’appelle Robert Florent, voilà. Je
passais par là pour faire une commission de mon maître, le comte de
Pierfort. J’ai vu qu’on vous jetait à l’eau. Voilà tout.
– Que sont-ils devenus ?
– Ceux qui ont voulu vous noyer ? Ma
foi, ils ont filé… N’ayez pas peur… Mais, dites-moi, comment vous
sentez-vous ?…
– Mieux… Je crois que je puis
marcher.
– Ils vous ont bien arrangé, dites donc,
reprit Pierre Gildas avec cet accent de la joie puissante qui
débordait en lui.
– Ce n’est rien… ça ne sera rien… faites
pas attention… dit Jean Nib d’une voix sombre.
– Ne craignez rien de moi… rien,
entendez-vous ? ni indiscrétion, ni curiosité, ni rien…
Jean Nib regarda l’homme avec étonnement, se
demandant s’il était de la pègre.
– Tout ce que je vous demande, reprit
Pierre Gildas, c’est pour vous. Si vous ne voulez pas répondre, ne
répondez pas ; s’il y a quelque chose qui vous gêne, ce n’est
pas
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