Fleurs de Paris
C’est à mossieu
le chef qu’on dira ça… Décidément, j’envoie ma
démission !…
Il prit la lettre, la relut encore à mi-voix,
non sans trouver qu’elle était très bien tournée.
Puis il la plaça sous enveloppe, calligraphia
l’adresse et poussa un soupir de soulagement.
– Qu’est-ce qu’elle est devenue, la
comtesse de Damart ? reprit-il, les yeux à demi fermés.
Subtilisée, évaporée ! Et avec elle les quinze ou vingt mille
francs que j’aurais gagnés, car je la tenais bien ! Je l’avais
empaumée ; elle marchait dans les grands prix… N, i,
ni !… Nom d’un chien, que j’ai mal à l’estomac !… Si je
te tenais, va ! Et La Veuve ?… Pour remettre la main sur
elle, c’est midi quatorze… Non, il y a trop d’injustice dans le
monde, et je démissionne !…
Il se leva, fit quelques tours dans sa chambre
en se frottant doucement l’estomac.
Il tournait autour de la table en grognant et
en guignant du coin de l’œil la lettre de démission.
Brusquement, il la saisit, la jeta rageusement
dans le tiroir, qu’il ferma avec violence.
– Eh bien ! non ! gronda-t-il.
Ça ne peut pas se passer comme ça. Ils riraient trop de ma tête,
dans les bureaux du chef !… Je reste jusqu’à ce que je leur
aie prouvé à tous, oui, à tous, qu’ils ne sont que de la Saint-Jean
à côté de Bibi… Le chef me vole Charlot ? Eh bien, j’aurai
Jean Nib !… Je le tiens, celui-là, et eux, les idiots, ils ont
fourbu je ne sais combien d’escouades pour le pincer. À moi le
dernier, à moi le bon !…
Finot attendit que le soir fût venu, et,
lorsqu’il comprit que Paris commençait à s’endormir, il se mit en
route vers la rue de Babylone, sans autre intention d’ailleurs que
de se mettre en surveillance.
Il arriva devant l’hôtel d’Anguerrand comme
une heure du matin sonnait à l’horloge de l’église
Saint-François-Xavier, et prit son poste ordinaire dans le
renfoncement de porte de la maison d’en face.
C’était la maison qu’avait habitée Lise avec
maman Madeleine… C’était la maison où avait eu lieu le repas… de
noces de Lise et de Gérard…
Finot n’avait pas fait partie de la brigade
qui, ce jour-là, avait tenté inutilement d’arrêter Charlot
transformé en Georges Meyranes, mais il était parfaitement au
courant de cette tentative, et, grâce à son imagination très
exercée, très mathématique, semblable à toutes les fortes
imaginations où le calcul tient la plus grande place, Finot, donc,
reconstituait la scène qui s’était passée dans cette maison à
laquelle il s’adossait. Et par les détails de la scène qu’on lui
avait cent fois racontée, il en arrivait à se dire que Lise et la
comtesse de Pierfort, c’était la même personne… Et il se perdait
dans sa rêverie sur les multiples transformations de ce Charlot, de
ce Gérard d’Anguerrand qu’il en venait à admirer…
Tout à coup, il vit que l’hôtel d’Anguerrand
venait de s’ouvrir et qu’une ombre s’y était glissée.
Un homme ? Une femme ?
Il ne savait pas au juste… Perdu dans sa
rêverie, il en était arrivé à oublier l’hôtel d’Anguerrand qu’il
venait surveiller.
Au bruit léger de la grande porte qu’on
refermait, Finot, en un instant, reprit toute sa lucidité.
Il tressaillit d’espoir…
– Quelqu’un vient d’entrer là !
murmura-t-il, les poings serrés, l’instinct du limier de chasse
soudain déchaîné en lui…
Et alors, il ajouta :
– À cette heure de la nuit !…
mystérieusement !… quelqu’un à qui on ouvre la porte du
dedans !… Qui a ouvert la porte, sinon le baron d’Anguerrand
lui-même ?… Et à qui peut-il avoir ouvert, si ce n’est à
celui qu’il aime assez pour l’avoir caché
quand je suis
entré avec Lambourne !… Jean Nib !… C’est Jean Nib qui
vient d’entrer !… Je le tiens ! Et, tonnerre, cette fois,
quand tous les barons et tous les Lambourne du monde s’y
opposeraient, je fouille l’hôtel de fond en comble et j’empoigne
Jean Nib !…
À ce moment, Finot vit l’une des fenêtres de
l’hôtel s’éclairer et deux ombres se projeter sur les
rideaux ; mais presque aussitôt les rideaux intérieurs furent
tirés et la lumière disparut.
Finot en avait vu assez.
Il avait la certitude que Jean Nib était dans
l’hôtel.
– Cette fois, gronda-t-il, Lambourne
marchera ou je le fais dégommer !
Il courut au commissariat, se fit donner
l’adresse du
Weitere Kostenlose Bücher