Fleurs de Paris
pardonnes !…Écoute, je veux te dire… il
faut que je t’explique…
– Plus tard… dit Gérard, sans la
repousser.
À la hâte, il allait chercher un grand manteau
qui avait servi à Lise. Et, sans hésitation, il le jetait sur les
épaules d’Adeline. Elle s’en enveloppait tout entière.
Elle tremblait. Elle murmurait des mots sans
suite.
– Partons, dit Gérard.
– Oui, oui, partons !…
Ils gagnèrent le grand salon du
rez-de-chaussée. Gérard s’y arrêta un instant.
– Il faut tranquilliser ces gens-là, pour
qu’ils ne me filent pas, murmura-t-il en frappant sur un
timbre.
L’intendant apparut.
– Monsieur Florent, dit Gérard avec un
calme certainement digne d’admiration, avez-vous de
l’argent ?
– Oui, monsieur le comte.
– Bien. Vous licencierez la maison
demain, et vous réglerez tout ce qu’il y a à régler. Le surplus
sera pour vous. Je m’absente. Dans une heure, j’aurai pris le train
pour Cologne. Je ne reviendrai que dans deux ou trois mois.
Pierre Gildas, pensif, l’examinait avec une
profonde attention.
Gérard se dirigeait vers la porte, après un
signe d’adieu. Brusquement, il revint sur ses pas. Et, à ce moment,
il eut peut-être la seule pensée honnête qu’il eût eue de sa
vie.
Il se pencha à l’oreille de l’intendant et,
très bas, murmura :
– Pierre Gildas, vous m’avez bien servi…
je vous préviens que, cette nuit, dans quelques instants,
peut-être, l’hôtel va être envahi par la police…
Dehors, sur l’avenue déserte, Adeline
reconquit tout son sang-froid. Au moment où Gérard hélait un taxi,
elle le saisit par le bras, et dit :
– Gérard, j’ai environ dix-huit cent
mille francs en billets et or dans ma chambre, à
l’Impérial-Hôtel…
Gérard tressaillit. Il eut une seconde
d’hésitation.
Puis, il murmura simplement :
– Nous tâcherons plus tard de recouvrer
cette somme. Maintenant, c’est impossible. L’hôtel que tu habitais
doit être surveillé. D’ailleurs, j’ai de l’argent sur moi. Assez
pour que nous puissions vivre un an tranquille. Après, nous
verrons…
Adeline se sentit frémir jusqu’au fond de
l’être…
Gérard fit stopper le taxi devant cet hôtel de
la gare Saint-Lazare où déjà il avait passé une nuit, et il demanda
deux chambres, en recommandant au garçon de le réveiller pour
l’heure du rapide de Bretagne.
Ni Adeline ni Gérard ne se couchèrent
pourtant. Elle avait trop à songer, et lui était aux aguets. Mais
elle profita de ces quelques heures pour arranger sa toilette de
façon qu’elle ne fût pas remarquée.
À l’heure du train, Gérard monta à l’immense
salle des Pas-Perdus, et dit à Adeline :
– Va prendre les deux billets pour Brest.
Inutile qu’on me voie…
Une demi-heure après, le rapide de Bretagne
emportait Adeline et Gérard vers le château de Prospoder… vers leur
destinée suprême !…
Chapitre 65 OU L’AGENT FINOT TROUVE QUE LA SOCIÉTÉ EST MAL FAITE
Deux jours après l’affaire de l’Opéra, qui fut
étouffée tant bien que mal par la direction et la police, également
intéressée à rassurer le public, le chef de la Sûreté prit le train
de Brest.
Le lendemain, il était en vue du château de
Prospoder.
*
* * * *
Cependant, l’agent Finot se faisait soigner
chez lui. Au bout de trois jours, il fut sinon rétabli, du moins en
état de reprendre ses occupations. Et alors, sa première idée fut
d’envoyer la lettre de démission qu’il avait toute prête dans un de
ses tiroirs.
C’est un peu raide, songeait-il, tandis
qu’accoudé à sa table il réfléchissait à sa situation. C’est moi
qui fais tout l’ouvrage, et c’est un autre qui en profite. Quelle
organisation !… Il n’y a pas à dire, les gens qui ont arrangé
la société comme elle est, sont de rudes malins. Ne rien fiche et
profiter du turbin des autres. C’est simple. Et dire que c’est
comme ça partout !… Je commence à voir clair… et j’en
profiterai, tiens !… En attendant, j’ai gâché une affaire
magnifique pour le plaisir de sauter à la gorge de Charlot…
Imbécile qu’est-ce que ça pouvait bien me faire que Charlot soit ou
ne soit pas arrêté ?… Pour l’honneur ? Pour m’entendre
dire que j’avais eu un sacré flair, tout de même ? Mais,
triple idiot, puisque ce n’est pas moi qui l’aurai,
l’honneur ! Puisque ce n’est pas à moi qu’on dira :
« Faut-il qu’il soit roublard !… »
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