Fleurs de Paris
New-York où nous vous attendons est-ce bien cela ?
– Oui. Pendant ce temps, je verrai Lise.
J’aurai avec Gérard un entretien suprême. Si les choses tournent
comme je l’espère, Gérard et Lise s’embarqueront à leur tour ;
puis, enfin, moi le dernier. Et je viendrai vous rejoindre à
New-York…
– Eh bien ! mon père, nous n’avons
plus qu’à nous dire au revoir.
– Oui, oui, balbutia le baron, mais es-tu
bien sûr, au moins, pendant ces quelques jours…
– De dépister la police ? fit Jean
Nib avec un sourire terrible. Soyez tranquille, mon
père !…
Les deux hommes étaient debout, frémissants,
se contraignant l’un et l’autre à une apparence de calme. Il y eut
une longue étreinte de ces deux poitrines où deux cœurs malheureux
battaient à l’unisson.
Puis, brusquement, Jean Nib s’arracha des bras
de son père.
Lorsqu’il se retrouva dans la rue, Jean Nib
marcha longtemps au hasard, d’un pas calme et mesuré, songeant à
une foule de choses qui, toutes, se résumaient dans ce
nom :
Rose-de-Corail !
Jean Nib portait dans sa poche huit millions
en deux valeurs payables à vue et au porteur par deux banques, les
plus solides de New-York et de San-Francisco. Jean Nib portait en
outre cinquante mille francs en billets de banque. Rien ne lui
était donc plus facile que de gagner l’Amérique et d’y toucher la
somme énorme que représentaient ces deux chiffons de papier.
Jean Nib, qui n’était rien… rien qu’un gueux,
un malheureux sans père ni mère ; devenu l’un des plus
redoutables bandits de la pègre parisienne, venait de se retrouver
un nom et une famille. Il s’appelait Edmond d’Anguerrand.
Et Jean Nib ne songeait ni aux millions, à la
magnifique fortune qu’il portait, ni aux jouissances du luxe qu’il
pouvait désormais se permettre, ni qu’il avait un nom, ni qu’il
avait un père, une famille…
Jean Nib songeait à Rose-de-Corail.
Jean Nib se disait :
– Si je ne retrouve pas Rose-de-Corail,
je me tuerai…
Et ce fut justement au moment où il
s’affirmait qu’il voulait mourir qu’il se prit à songer à son
père.
– Si je ne retrouve pas Rose-de-Corail,
c’est que je ne retrouverai pas Marie Charmant, c’est-à-dire ma
sœur Valentine, la fille du baron. Quel coup pour ce malheureux
homme… mon père !… Mais il lui reste Gérard… ce frère que j’ai
failli tuer ! cet être qui m’épouvante, qui me fait
horreur ! Gérard qui est venu me trouver dans le bouge des
fortifs pour me proposer d’assassiner ma sœur et mon père… Non,
non ! il ne resterait pas Gérard pour mon père… Si je meurs,
le baron sera seul au monde, et nul parmi les vivants n’aura eu
pitié de lui, pas même moi !… Je vivrai !… Ô ma
Rose-de-Corail, je vivrai pour porter ton deuil dans mon cœur… et
pour consoler celui qui n’aura plus que moi sur la
terre !…
Chapitre 67 JEANNE MAREIL
Nous verrons plus loin ce que Jean Nib
entreprit pour retrouver Valentine et Rose-de-Corail, toutes deux
au pouvoir de Biribi, ainsi qu’il le savait par le récit de Pierre
Gildas. Nous devons pour le moment nous attacher aux pas de La
Veuve.
Dans l’automobile – d’origine plus que
suspecte, cela va sans dire – qui emmenait Lise après la scène de
l’Opéra, après le coup de revolver tiré par Adeline, La Veuve avait
pris dans les siennes les mains de la jeune fille, et la
contemplait avec une sombre satisfaction.
Le coup de revolver dérangeait en partie ses
plans.
Elle tenait Lise : mais Gérard lui
échappait.
Or, ce que La Veuve avait rêvé, c’était la
destruction complète de la famille d’Anguerrand…
Sa haine demeurerait entière tant qu’un seul
membre de la famille serait debout et vivant…
L’auto filait rapidement. Et La Veuve
réfléchissait, plongée dans une de ces effrayantes rêveries où son
cerveau surexcité enfantait des imaginations démentes.
Elle tenait les mains de Lise évanouie, et
grondait :
– Pourvu qu’elle ne meure pas tout de
suite !…avant que j’aie eu le temps de combiner mon
affaire !
Son affaire ! c’était la disparition
totale de la famille maudite, c’est-à-dire : Hubert
d’Anguerrand, Valentine, Gérard, Edmond.
Contre Edmond d’Anguerrand, elle ne pouvait
rien. Mais elle se disait que, selon toute probabilité, celui-là
était mort de misère, mort de faim et de froid, mort tout enfant,
comme était mort son fils à elle.
Elle n’y songeait donc
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