Fleurs de Paris
minuit, je viendrai.
Si vous ne voulez pas me parler, il suffira que vous laissiez votre
porte fermée. Mais si, comme moi, vous pensez que d’une explication
suprême il peut résulter quelque bien, vous laisserez la porte
entre-bâillée, – et j’entrerai.
« Jeanne MAREIL »
Cette lettre, La Veuve ne la mit pas sous
enveloppe elle la roula en boule, l’entoura d’un fil croisé en tous
sens, et chercha des yeux un objet quelconque destiné à alourdir
cette boule de papier. Mais elle ne vit que son revolver posé sur
la table et chargé à six coups. Alors elle enleva l’une des balles
du barillet, et cette balle de revolver, devenue messagère, elle
l’attacha au fil qui entourait sa lettre.
Quelques minutes, elle demeura rêveuse devant
ce chiffon de papier accroché à la balle de plomb.
– Voudra-t-il ? songeait-elle. Toute
la question est là, maintenant. Oui, sans doute, il voudra. Ne
fût-ce que par curiosité… J’aurais dû mettre que je sais où est sa
fille… mais non… ça l’aurait plutôt mis en défiance… Je trouverai
la porte ouverte, cette nuit, c’est sûr !
Elle partit, et, par le moyen de divers
tramways, gagna le quartier lointain de la rue de Babylone. Elle ne
tenait pas à arriver de bonne heure, et cherchait à allonger le
chemin pour se donner le temps de réfléchir.
Lorsqu’elle se trouva sur le boulevard des
Invalides, à l’encoignure de la rue de Babylone, et qu’elle vit le
grand portail de l’hôtel d’Anguerrand, son cœur battit avec force,
et elle en fut surprise, car il était bien rare que, chez elle,
l’émotion produisit ces effets.
– Ce n’est pas tout ça !
gronda-t-elle. Il faut que je fasse arriver le papier…
Elle regarda autour d’elle et avisa un gamin,
un petit pâtissier qui passait, les deux mains dans les poches, son
panier vide sur la tête, en sifflant un air patriotique. Le gamin,
tout à coup, tomba en arrêt devant une bande piailleuse qui jouait
au bouchon, et s’arrêta pour juger les coups.
La Veuve s’approcha de l’apprenti et lui dit
en souriant :
– Tu vas arriver en retard pour porter ta
timbale, mon petit ami…
– De quoi ? fit le petit pâtissier.
D’abord, c’était pas une timbale, c’était un vol-au-vent. Ensuite,
il est porté, le vol-au-vent. Si y a plus moyen de s’arrêter un
brin, alors ! Mais c’est-y qu’vous connaissez mon
patron ?
– Non, mon petit ami…
– Alors, de quoi qu’vous vous mêlez,
dites donc ?
– Je voudrais te demander si tu veux
gagner ceci ? murmura La Veuve en montrant une pièce de cinq
francs.
– Une roue d’derrière !
Chouette ! Comptez sur moi ! déclara le gamin avec cet
impayable aplomb qui est l’apanage des apprentis pâtissiers.
La Veuve l’entraîna à quelques pas, lui remit
la boule de papier attachée à la balle, et lui désigna le grand
portail de l’hôtel d’Anguerrand.
– Tu vois cette porte ?
– Oui. Une porte de prison ou de
cimetière, fit le gamin, gouailleur.
La Veuve tressaillit et un soupir gonfla son
sein.
– Tu vas y aller, reprit-elle. Tu tireras
la sonnette, un coup, très fort, et puis tu jetteras le papier
par-dessus le mur, pour qu’il tombe dans la cour.
– Une bonne farce, quoi.
Le gamin posa son panier sur un banc du
boulevard, s’élança dans la rue de Babylone, tira violemment la
sonnette de l’hôtel et lança par-dessus le mur la balle de revolver
qui entraînait la lettre de La Veuve.
Pendant près d’une heure, La Veuve demeura
immobile à l’angle de la rue, les yeux fixés sur les fenêtres de
l’hôtel. Enfin, son regard ardent perçut ce qui eût sans doute
échappé à d’autres regards : le léger tressaillement d’un
rideau.
– Bon ! gronda-t-elle. Il est là. Il
a entendu le coup de sonnette. Depuis une heure, il regarde. Il a
vu le papier… Et maintenant il se décide à descendre pour le
lire !…
*
* * * *
Il était huit heures du soir. Dans sa chambre,
La Veuve allait et venait, déplaçant ici une chaise, remettant plus
loin un objet en place, grommelant des paroles confuses. Il y avait
sans doute un dernier combat en elle.
Parfois elle s’arrêtait brusquement et prenait
à deux mains son front brûlant où il y avait des coups sourds se
répétant à intervalles réguliers mais très espacés.
À un moment, elle alla à la fenêtre, et jeta
un regard sur la route pleine de ténèbres. Pourtant, dans cette
nuit, elle distingua la silhouette
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