Fleurs de Paris
d’Anguerrand
avait bien reçu le papier attaché à la balle de revolver que le
petit garçon pâtissier avait jetée par-dessus le mur !
Elle se glissa à l’intérieur, et aussitôt la
porte se referma…
Dans la cour de l’hôtel, La Veuve, tout de
suite, avait vu la haute stature du baron d’Anguerrand. Tout de
suite, elle l’avait reconnu. Et elle avait frémi de l’effort
qu’elle faisait pour se contenir.
Une minute, ils demeurèrent silencieux, dans
cette cour, dans cette nuit, pareils à des spectres qui cherchent à
reconnaître leurs intentions. Hubert poussa un profond soupir, et
dit douloureusement :
– Venez… je vous attendais…
Il monta lentement. La Veuve montait derrière
lui, et toute son énergie, à ce moment, elle l’employait à dompter
la joie furieuse qui se déchaînait en elle, à refréner la tentation
violente qui lui venait de le frapper tout de suite. Mais Jeanne
Mareil eût cru sa vengeance incomplète si elle n’avait parlé.
Ainsi, aux heures les plus tragiques, la femme demeure femme ;
il faut qu’elle parle. Il faut que l’acte s’enveloppe de poésie,
dût cette poésie compromettre l’acte. Il faut qu’elle décharge son
cœur, dût-elle se mettre en péril…
Hubert entra dans ce cabinet, dont la fenêtre
donnait sur la rue. Il tira les rideaux, afin qu’on ne vît pas la
lumière du dehors. Il poussa un fauteuil près de la cheminée, et
dit, toujours doucement :
– Asseyez-vous, Jeanne.
Elle obéit. Et lui-même s’assit en face
d’elle.
Il allait parler… il allait dire… oui, cela
lui semblait le seul mot possible à ce moment :
– Jeanne, je vous ai fait beaucoup de
mal… mais peut-être me pardonnerez-vous si c’est moi qui vous
ramène votre fille…
Il allait dire cela !
À ce moment, La Veuve parla. Et elle
disait :
– Monsieur le baron, je suis venue pour
vous donner des nouvelles de toute votre famille, les deux fils et
la fille.
Hubert eut un long tressaillement.
Tout de suite, il comprit que des choses
terribles allaient se passer.
Il se leva, et alla à un secrétaire qu’il
ouvrit. La Veuve le regardait faire sans curiosité. Hubert, d’un
tiroir, sortit la lettre qu’une nuit il avait écrite pour Jeanne
Mareil – lettre dans laquelle il lui disait que Lise était la fille
de Jeanne, et qu’il dotait cette enfant.
Il posa la lettre sur la cheminée, reprit sa
place, et dit sourdement :
– Parlez, maintenant !…
Et La Veuve, d’une voix lente, comme si elle
eût espéré que chaque mot s’enfoncerait dans le cœur d’Hubert comme
un coup de couteau, parla sans colère ni haine apparente, avec une
formidable tranquillité.
– Il est inutile, monsieur le baron
d’Anguerrand, de vous rappeler ce que vous avez fait : ma mère
morte en proférant contre vous et aussi contre moi une malédiction
dont il est juste que nous portions le poids… mes enfants morts
(Hubert tressaillit, son bras se leva vers la lettre, mais retomba
pesamment) ; quant à moi, je n’en parle pas. Vous m’avez
regardée longuement tout à l’heure, et vous avez vu ce que vous
avez fait de moi. Vous m’avez poussée dans un enfer où ce qu’il
pouvait y avoir de bon, de généreux, de vivant en moi, s’est brûlé
lentement… Ce furent des années de supplice… Figurez-vous, monsieur
le baron, que dans votre poitrine vivante, vous sentez mourir et se
dessécher votre cœur… figurez-vous que, vivant vous portez en vous
ce cœur mort, et vous aurez une idée des angoisses, des douleurs,
des épouvantes que j’ai subies…
– Jeanne !… Jeanne !… balbutia
Hubert livide, je puis d’un mot, d’un seul mot…
– Rien ! interrompit La Veuve. Vous
ne pouvez rien. Dieu même, Dieu auquel je crois, Dieu qui m’a tirée
de l’enfer où vous m’avez jetée, qui m’a prise par la main et m’a
mise sur votre route, Dieu serait impuissant à effacer le passé…
Taisez-vous… Je suis ici pour dire ce qu’il est juste que vous
entendiez… Et il est juste que ce soit moi et non une autre qui
vous affirme ce qui se passe…
– Ce qui se passe ? murmura le baron
en essuyant son front ruisselant.
– Sans doute. Vous pensez bien que si je
suis venue, pour cela… Le passé, c’est inutile ! Laissons-le
s’enfoncer dans les ombres qui conviennent à la honte, à la douleur
et au crime ! Mais le présent, Hubert, le présent ! Voilà
ce qu’il est utile que vous sachiez.
Elle se penchait à demi
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