Fleurs de Paris
hurlai-je, c’est vous qui
me vengerez ! Car celle qui m’a volé mon amant, c’est celle-là
même qui vous a volé à moi, c’est la baronne Clotilde ! J’ai
les preuves ! Il y a longtemps que votre femme est la
maîtresse de Louis de Damart… Ni votre fils Edmond, ni votre fille
Valentine ne sont vos enfants, monsieur le baron !… et en ce
moment même, Louis de Damart est auprès de Clotilde
d’Anguerrand.
« Hubert d’Anguerrand chancelait,
poursuivit La Veuve. Il râlait. Je le voyais étouffer. Et moi, je
continuais ! J’inventais des preuves abondantes et précises
pour étayer mon mensonge, je donnais des détails d’une
vraisemblance telle que je me suis souvent demandé comment j’ai pu
les imaginer en un tel moment. Et puis, ma trouvaille, en cette
minute de délire, fut de déclarer que sur les trois enfants, il y
en avait un, l’aîné, Gérard, qui était bien du baron… cela achevant
de prouver ma bonne foi !… Je tenais Hubert par le bras… Quand
j’eus tout dit, quand je vis ses yeux devenir sanglants, je le
lâchai comme un chien enragé, et il sauta sur son cheval en
bégayant d’une voix de folie : « Qu’elle meure !
qu’elle meure avec son amant ! qu’elle meure avec les deux
bâtards !… » Le cheval fit un bond et disparut dans la
nuit. Et moi je m’élançai en courant vers le château… Une heure
plus tard, j’arrivai au château, haletante, échevelée, pour voir
l’effet de mon mensonge, comme, lorsque le tonnerre est tombé
quelque part, on va voir l’effet de la foudre… Je vis des lumières
qui couraient… des ombres affolées… J’entendis des voix
tremblantes… J’entendis, oui, j’entendis que le baron Hubert
d’Anguerrand avait tué le comte Louis de Damart… le père de mes
enfants !… et que la baronne Clotilde était mourante
elle-même !… Alors, la peur s’empara de moi, une peur
insensée, terrible, comme jamais plus je n’en ai éprouvée de
pareille. L’atroce pensée me tenaillait le cerveau que, bientôt,
dans quelques heures, dans quelques minutes peut-être, le baron
d’Anguerrand saurait que j’avais menti… et qu’alors, c’est sur mes
enfants qu’il se vengerait !… Je me ruai vers la maisonnette
que j’habitais à une lieue du château, et je poussai un hurlement
de joie en voyant que Louis et Suzanne étaient là !… Les deux
chérubins dormaient… Alors, tressaillant de terreur au moindre
bruit, je les éveillai, je les habillai, je pris Suzanne dans mes
bras, Louis par la main, et je partis, je m’élançai à travers la
campagne pleine de neige !…
« Je marchai deux jours sans m’arrêter,
évitant les grands chemins, n’entrant que dans les auberges
isolées, me sentant mourir d’épouvante lorsque au loin j’entendais
le roulement de quelque voiture. Sur la fin de la deuxième journée,
j’étais exténuée ; mon pauvre petit Louis ne pouvait plus
marcher ; alors, je voulus voir où je me trouvais, et ne
reconnus plus le pays… J’étais égarée… en pleins champs… loin de
toute ferme, de toute maison, loin du monde entier !… Je
tombai au coin d’une haie, serrant mes deux enfants sur ma
poitrine ; la tête me tourna ; je crus entendre comme un
son de cloches lointaines au fond des ténèbres… Qu’arriva-t-il
alors ?… Je ne sais pas… je n’ai jamais su… Je me relevai… je
crois me souvenir que j’avais encore ma petite Suzanne dans les
bras… mais peut-être ne serrais-je sur ma poitrine que le fichu de
laine où je l’avais enveloppée… Je marchais comme dans un rêve
affreux… je tombais… je me relevais… et enfin je m’évanouis…
Lorsque je revins à moi, le jour commençait à poindre… j’étais
raidie de froid… la neige me couvrait entièrement, et c’est
peut-être cela qui me sauva… Je jetai les yeux autour de moi, et
alors je bondis ! En une seconde, froid, fatigue, terreur,
tout fut oublié : mes enfants n’étaient plus près de
moi !… Je me mis à courir comme une insensée, j’appelai, je
criai, je sanglotai… et, enfin, j’aperçus mon petit Louis dans la
neige !…
Je me jetai sur lui, je le saisis dans mes
bras, je le dévorai de caresses… et ce fut une minute inexprimable
que celle où je vis ses chers yeux s’ouvrir : « Ne pleure
pas, maman… » Je sanglotais… « Cherchons Suzanne, dis-je
en riant à travers mes larmes ; puisque te voilà, elle ne peut
être loin. » Et je me mis à pleurer
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