Fleurs de Paris
assistance.
– Voilà qui est admirable, s’écria le
jeune homme en entrant et en s’asseyant sur la chaise que lui
avançait la bouquetière ; c’est précisément aide et assistance
que je viens vous demander !
– Parlez, monsieur, et si je puis… soyez
sûr…
– Avant tout, dit-il en toussant
légèrement dans le bout de son gant, permettez-moi de me
présenter : je suis M. Ségalens…, Anatole Ségalens,
licencié ès lettres, auteur de deux plaquettes en vers, de trois
romans qui attendent un éditeur et de deux drames qui dorment, l’un
à l’Ambigu, l’autre à la Porte-Saint-Martin… À la recherche d’une
place de reporter dans un bon journal, continua Anatole Ségalens.
Je suis sur le point de débuter dans un grand quotidien. Voilà qui
je suis, mademoiselle, et j’ajoute que je demeure, 55 faubourg
Saint-Honoré, quartier aristocratique, comme vous le savez
certainement.
– Mais, balbutia Marie Charmant étourdie,
je croyais… que vous habitiez… enfin, que vous étiez mon
voisin ?…
– Permettez !… En chair et en os,
j’habite, rue Letort, cette maison même, en ce quatrième étage.
Mais sur ma carte de visite, j’habite, 55, faubourg Saint-Honoré,
c’est-à-dire que, moyennant cinq francs par mois, la concierge de
cette luxueuse maison reçoit mes lettres, et, moyennant un
supplément de dix francs également mensuels, elle répond à toute
personne qui vient me demander que je viens de sortir… De cette
façon, mademoiselle, nul ne sait que je loge en ce taudis et que je
suis trop pauvre pour avoir une adresse avouable.
Et, avec une fierté nuancée de modestie, le
jeune homme exhiba d’un carnet en cuir de Russie un bristol
impeccable qu’il tendit à Marie, stupéfaite, et qui était ainsi
libellé :
ANATOLE SÉGALENS
55, faubourg Saint-Honoré.
Marie Charmant était confondue de la confiance
de ce jeune homme qui, du premier coup, lui racontait ainsi ses
petits secrets. Marie peut-être en était plus touchée encore, et
son cœur battait d’un émoi dont elle ne se rendait pas compte.
– J’aurais peut-être dû mettre :
Anatole de Ségalens
, mais la particule est portée par tant
de mufles… Je vois, mademoiselle, continua Anatole Ségalens en
souriant, que je vous étonne. Sachez donc que, lorsque je quittai
Tarbes, ma ville natale, il y a quelques mois, pour entreprendre,
moi aussi, ma petite conquête de Paris ! mon oncle Chemineau –
le frère de défunte ma pauvre mère… c’est lui qui me recueillit
quand j’eus le malheur de rester orphelin, c’est lui qui m’éleva…
un bien digne homme, mademoiselle ! – mon oncle Chemineau,
donc, me dit en tirant de sa pipe de grosses bouffées émues :
« Tu veux faire un trou, c’est juste. J’ai une petite rente de
deux cents franc par mois : nous partageons la poire et tous
les mois, tu recevras cent francs. Avec les cent qui me resteront,
moi, je serai comme un Crésus, par ici. Mais toi, à Paris, avec la
même somme, tu seras comme un Job sur la paille. Je te préviens que
ce sera dur… » Et c’est bien dur, en effet,
mademoiselle ! ajouta le reporter avec un soupir.
« Mon oncle Chemineau ajouta simplement
ceci : « Donc, tu vas vivre avec cent francs par mois
jusqu’à ce que tu aies trouvé un digne emploi de tes talents, qui
sont variés, je m’en flatte. Je vais te donner trois choses qui
t’aideront à grimper à l’échelle : la première, c’est ma
bénédiction ; la deuxième, c’est un billet bleu de cinq francs
que j’avais mis de côté et qui sera ta mise de fonds ; la
troisième, c’est un conseil. »
« Je reçus sa bénédiction, avec
reconnaissance, je serrai sur moi le fameux billet bleu, et avec
grande attention j’ouvris mes oreilles toutes grandes pour le
conseil. Le voici : «
Être
, me dit mon oncle
Chemineau,
être
n’est rien ;
paraître
est
tout. Il faut que tu
paraisses
riche, que tu
paraisses
fort, que tu
paraisses
avoir du
talent ; moyennant quoi, tu auras vraiment richesse, force et
talent. Joue le grand jeu. Tu es sur une scène. Pas de trouble, pas
d’hésitation… du toupet, et on t’applaudira. Cote-toi toi-même si
tu veux qu’on te cote. Enfin, à tout prix, coûte que coûte, il faut
que tu
paraisses
… » Voilà pourquoi, mademoiselle, sur
mes cartes de visite j’habite 55, faubourg Saint-Honoré.
Et comme pour ponctuer cette tirade, Anatole
Ségalens incrusta sous son arcade sourcilière droite le
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