Fleurs de Paris
demanda :
– Quelle diable de figure avez-vous
là ? Vous êtes tout pâle, mon ami.
– Je m’ennuie, dit Ségalens.
– Pourquoi vous ennuyez-vous,
vous ?
– Parce que j’aime une jeune fille et
qu’elle a disparu.
– Toutes les chances ! s’écria
Pontaives. Et vous vous plaignez ?
– À propos. Et
l’
Informateur
?
– Eh bien ! j’ai vu
M. Champenois, qui est un homme tout rond en affaires. Je lui
ai exposé mon désir de faire une série de reportages sur les
bas-fonds parisiens…
– Tiens, dit Pontaives, c’est une idée,
ça ! Pas neuve, mais enfin, ce sera une occasion pour vous de
vous distraire, je vous accompagnerai… mais je vous préviens que la
chose a été faite déjà.
– Oh ! il ne s’agit pas de faire une
tournée de grands-ducs. Je veux voir de près la pègre parisienne,
me mêler à elle, vivre de sa vie, palpiter de ses émotions…
– Vous vous ferez tuer.
– On n’est jamais tué qu’une fois, dit
Ségalens. Est-ce que ma tournée vous séduit toujours ?
– Plus que jamais ! Mais, puisque
nous devons courir ensemble les mauvais lieux, commençons par
l’Opéra.
Les deux jeunes gens sortirent en se donnant
le bras, dînèrent sur le boulevard et passèrent la soirée à
l’Opéra. Pendant le dîner, Ségalens avait raconté à son ami
l’histoire de son amour et la disparition inexpliquée de Marie
Charmant, puis son désespoir, sa folle tentative de suicide et le
sauvetage de Pierre Gildas.
– Et qu’est devenu l’homme ? demanda
Pontaives.
– Il est chez moi.
– En sorte qu’en ce moment vous recelez
un repris de justice ? joli, peut-être…, mais
dangereux !
– Enfin, cette petite bouquetière que
vous adorez, si elle a disparu, c’est que quelqu’un avait intérêt à
sa disparition. Avez-vous une idée là-dessus ?
– Aucune. J’en suis réduit à me fier au
hasard.
Après l’audition de
Lohengrin
, les
deux amis s’en allèrent souper au plus proche café.
Le café était divisé en deux parties :
une avant-salle de plain-pied avec le boulevard des Italiens, et
une arrière-salle plus élevée où l’on accédait par un double
escalier de quelques marches. Chacun de ces deux escaliers était
encadré de hautes colonnes d’un bel effet décoratif. Il va sans
dire que les deux salles étaient occupées par une double foule de
soupeurs parmi lesquels évoluaient quelques jolies filles toutes
prêtes à accorder leur amour au plus offrant et dernier
enchérisseur.
Pontaives et Ségalens s’étaient placés à une
petite table de l’avant-salle ; et Ségalens revenait pour la
dixième fois sur le sujet qui lui tenait tant au cœur, lorsque
Pontaives s’écria :
– Oh ! la belle enfant !…
regardez donc !…
Ségalens se retourna : une jeune femme
descendait lentement l’un des deux escaliers. Elle portait avec une
naïve élégance un costume de satin gris perle, et sa tête fine,
délicate, un peu pâle, se dressait harmonieusement sur des épaules
parfaitement modelées, émergeant de la blancheur d’un
« boa » en plumes jeté sur ses épaules.
– Voilà qui est particulier, dit Ségalens
après une seconde d’attention.
– Quoi donc ? fit Pontaives en
continuant à fixer la jolie inconnue avec une attention et
peut-être une émotion qui démentait son scepticisme de parade.
– Vous connaissez l’histoire du marquis
de Perles ?
– Oui, eh bien ?…
– Eh bien ! la petite Magali en
question est devant vous ! Pauvre petite ! Elle aura eu
assez de la misère et à pieds joints, elle a sauté dans le
ruisseau…
Pontaives avait étouffé une exclamation de
surprise. La jeune femme, de sa marche onduleuse et traînante, se
dirigeait vers la porte.
Au moment où elle passait prés de la table,
Pontaives se leva, la toucha au bras, et dit :
– Voulez-vous me faire le plaisir de
boire avec moi une coupe de champagne ?
Magali considéra le jeune homme, puis,
souriante :
– Je veux bien, dit-elle, à condition
qu’il y ait des écrevisses pour me donner soif.
Et Magali s’assit tranquillement, avec cette
indifférence de la professionnelle qui accomplit son devoir sans
enthousiasme. Pourtant, comme Pontaives, stupéfait de se sentir
presque trembler, la regardait en silence, elle ajouta :
– Vous êtes gentil de m’inviter. J’allais
me coucher. Les hommes me dégoûtent ce soir…
Cette amère et brutale sortie, le ton de
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