Fleurs de Paris
L’AGENT FINOT
La Veuve, en sortant de la maison du
Champ-Marie, ne s’était plus inquiétée de Gérard, qu’elle avait vu
étendu sur le plancher. Elle le croyait mort. En revanche, deux
choses également terribles absorbaient sa pensée : la
première, c’était qu’Hubert d’Anguerrand avait échappé aux coups de
Gérard. Hubert lui échappait donc à elle-même, c’est-à-dire que
toute cette joie funeste qu’elle avait éprouvée en venant au
Champ-Marie se changeait en une sombre méditation faite de rage.
Pourtant, au fond de ce désespoir d’une affreuse sincérité, La
Veuve trouvait une consolation en se disant qu’elle tenait toujours
Lise (c’est-à-dire, pensait-elle, la fille d’Hubert). Par Lise,
elle reprendrait le baron d’Anguerrand… La deuxième chose qui
épouvantait La Veuve, c’était que Jean Nib était libre. Et La Veuve
concluait :
– Si Jean Nib remet la main sur moi, je
suis perdue. Mourir ! cela m’est égal, au fond. Mais mourir
sans avoir rendu à Hubert d’Anguerrand blessure pour
blessure !… Mourir en laissant derrière moi cette petite
Valentine que je me suis mise à exécrer du premier coup
d’œil !…
En attendant, elle tenait Marie
Charmant : simple précaution, d’ailleurs. Car La Veuve n’avait
aucun motif de haine contre la bouquetière. Seulement, Marie
Charmant avait vu des choses qu’elle n’eût pas dû voir. Et surtout,
elle s’intéressait à Lise. Il était donc urgent de la mettre dans
l’impossibilité de nuire. Une fois la situation éclaircie et
consolidée à la fois, on verrait à lui rendre la liberté, si elle
était sage ; et puis, Biribi était là pour dompter la petite
bouquetière…
En réfléchissant à ces diverses affaires, La
Veuve marchait d’un bon pas. Quant à Marie Charmant, une fois sa
terreur passée, elle prenait son parti de l’aventure.
On arriva à la Seine, on franchit la
Cité ; après le pont Saint-Michel, La Veuve pénétra dans la
rue Saint-André-des-Arts et sonna à la porte d’une de ces vieilles
maisons comme il y en a encore dans ce quartier. Au quatrième, elle
frappa ; et bientôt un judas s’entr’ouvrit dans la porte
massive. Sans doute La Veuve fut reconnue pour amie de la maison,
car la porte s’ouvrit. Marie Charmant fut entraînée, et bientôt se
vit dans une salle à manger servant de bureau et de salon.
L’homme qui avait ouvert à La Veuve était de
taille au-dessous de la moyenne, gros et court, ramassé sur
lui-même, trapu, le cou dans les épaules, la face rouge, les yeux
ternes la moustache en brosse, les cheveux noirs et drus sur le
crâne tondu à l’ordonnance militaire. Il portait quarante ans. Il
ne semblait nullement étonné de cette visite nocturne et souriait
vaguement en inspectant Marie Charmant du coin de l’œil.
– Monsieur Finot, dit La Veuve, j’aurais
des choses intéressantes à vous communiquer. Est-ce que vous ne
pourriez pas accorder dix minutes d’hospitalité à cet
enfant ?
– Venez, Mademoiselle, dit
M. Finot.
– À tout à l’heure ! fit La Veuve à
Marie Charmant qui suivait l’homme.
Celui-ci ouvrit une porte et fit entrer la
bouquetière dans une sorte de cabinet où il alluma une bougie.
– Voilà, mademoiselle, dit-il d’un air
bonhomme. Ce n’est pas beau, niais pour quelques minutes…
Il sortit en refermant la porte, et rejoignit
La Veuve.
– Depuis combien de temps êtes-vous
inspecteur ? demanda La Veuve.
– Dame, depuis ma sortie du régiment.
– Est-ce que vous ne m’avez pas dit que
votre intention était de vous retirer du service et d’ouvrir un
cabinet de renseignements secrets
… célérité, discrétion… à
l’usage des maris jaloux, des héritiers pressés, et autres
honorables personnes ?
– Je l’ai dit, La Veuve, répondit
M. Finot avec un soupir. Mais j’ai ajouté que, pour
l’installation d’un cabinet de cette nature, il me fallait au moins
vingt-cinq mille francs. Je crois que je les attendrai longtemps.
Mais, voyons, hâtez-vous, La Veuve, car je devrais déjà être
dehors…
– Monsieur Finot, voulez-vous faire une
action d’éclat qui vous fera nommer brigadier ?
Finot sourit avec mélancolie, en homme détaché
des biens de ce monde, mais il ouvrit ses oreilles toutes
grandes.
– L’arrestation de Jean Nib ne vous
a-t-elle pas valu quelques félicitations, déjà ?
– Si fait… mais il n’y a pas tous les
jours un Jean Nib à
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