Fortune De France
d’apparaître à la grand-messe ce
dimanche à Sarlat. Monsieur le Vicaire général y officie et ne manquera pas de
vous remarquer.
— Eh
bien, dit Siorac d’un air joyeux, si Mespech nous plaît, nous ne manquerons pas
d’être là !
Le
lieutenant du Roi et ses archers, suivis des deux Jean, n’eurent qu’à
paraître : le pont-levis de Mespech descendit devant eux. Le Maligou,
tancé, mais infiniment soulagé, fut renvoyé dans sa maison, et quatre des
hommes de La Boétie commis, jusqu’à la vente, à la garde du château. La Boétie
craignait une tentative désespérée de Fontenac pour le brûler, ce qui eût privé
la châtellenie de sa demeure, Mespech n’étant plus alors qu’une vaste terre que
personne, sinon son puissant voisin, n’eût eu intérêt à acheter.
Après
que La Boétie eut pris congé, Siorac et Sauveterre visitèrent Mespech de fond
en comble. Ceci se passait le jeudi. Le vendredi, ils parcoururent en tous sens
le domaine. Le samedi, ils retournèrent à Sarlat, et là, devant le notaire
Ricou, ils s’adoptèrent mutuellement et se donnèrent l’un à l’autre tous leurs
biens présents et à venir. À partir de cet instant, les deux Jean devinrent
frères, non seulement par l’affection qu’ils s’étaient jurée, mais aussi par la
loi, héritiers l’un de l’autre – et Mespech, s’ils s’en rendaient
acquéreurs, devenait leur propriété indivise.
J’ai
lu cet acte émouvant. Il est rédigé d’un bout à l’autre en langue d’oc, alors
qu’à cette date tous les actes officiels étaient déjà écrits en français, mais
les notaires furent les derniers à consentir à se plier à cette règle, leurs
clients le plus souvent n’entendant rien à la langue du Nord.
Le
bruit s’étant répandu à Sarlat de l’affrèrement des Capitaines, on commença à
dire que les deux braves allaient acheter Mespech à la barbe de Fontenac.
Hypothèse qui reçut une confirmation quand on les vit à la grand-messe le
lendemain. Le bruit courut aussi qu’après la messe ils avaient remis au Vicaire
général, Anthoine de Noailles, un don de cinq cents livres tournois « pour
d’aucuns anciens soldats du Roi qui se trouveraient vivre en le diocèse de
Sarlat, vieux et estropiés ».
L’arrivée
des Capitaines à Sarlat, ce dimanche-là, ne fut pas une arrivée de freluquets.
Ils passèrent la porte de la Lendrevie, escortés de leurs trois soldats, tous
les cinq, sauf Coulondre, le pistolet au poing et l’épée nue pendant par la
dragonne au poignet de la main qui tenait les rênes. Ils défilèrent ainsi dans
les rues, Siorac et Sauveterre l’œil sur les fenêtres, et leurs hommes sur les
passants, et ils ne rengainèrent que lorsqu’ils eurent démonté devant l’hôtel
de La Boétie. Le lieutenant, alerté par les sabots des chevaux sur les pavés,
sortit aussitôt de sa demeure et vint au-devant d’eux, le sourire aux lèvres et
les mains tendues, afin de montrer aux notables réunis sur la place (comme
l’usage était de cette assemblée, par beau temps, avant la messe) le grand cas
que l’officier royal faisait des nouveaux venus.
Il
y eut de grands remous quand la frérèche se fut retirée dans l’hôtel de La
Boétie, les bourgeois consultant entre eux avec des hochements de tête, et le
populaire se pressant autour des cinq chevaux, vifs et pleins de sang que
tenaient les soldats, admirant les croupes luisant de sueur et les selles de
guerre, dont les fontes ouvragées laissaient voir les crosses de fortes
pistoles.
Fontenac
était en grande détestation parmi les bourgeois de Sarlat, et aussi parmi les
nobles des châteaux, en raison de ses meurtres et excès infinis, mais le
populaire en tenait pour lui, car du fruit de ses rapines il faisait parfois à
ses frais des processions qui étaient censées glorifier un saint, mais qui
finissaient, le vin payé par Fontenac coulant à flots, en ribauderies que La
Boétie devait réprimer. Malgré ces désordres, qui ne sont que trop fréquents,
d’aucuns opinent que le peuple des villes, qui travaille de l’aube à la nuit
pour quelques misérables sols, est fondé à aimer les processions d’église
puisqu’elles lui donnent du repos, les innumérables saints que le culte
catholique célèbre lui apportant, bon an mal an, plus de cinquante jours
fériés, sans compter les dimanches : raison pour laquelle il a toujours
été facile d’ameuter le peuple contre ceux de la religion
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