Fortune De France
réformée qu’il
suspecte de vouloir leur ôter les fêtes en supprimant les saints qui en sont
l’occasion.
Bien
que le parler du Quercy et de la Gascogne fût assez différent du leur, les
badauds découvrirent vite que nos soldats entre eux parlaient d’oc et caressant
leurs chevaux, admirant leurs selles et aussi le crochet de fer que Coulondre
portait en place de la main gauche, ils firent des questions sans nombre,
auxquelles Cabusse seul répondit, le Gascon ayant l’esprit vif et la langue
agile.
— Vos
maîtres vont-ils acheter Mespech ?
— Nous
n’avons point de maîtres. Ces messieurs sont nos Capitaines.
— Vos
Capitaines vont-ils acheter la châtellenie ?
— Il
se peut.
— Ont-ils
de l’argent assez pour cela ?
— Je
n’ai point ouvert leurs coffres.
— On
dit que le Baron de Fontenac a quinze mille livres tournois.
— Dieu
les lui garde.
— Vos
Capitaines ont-ils davantage ?
— Il
faudra le leur demander.
— Si
vos Capitaines achètent Mespech, on dit que M. de Fontenac ne digérera pas cet
affront.
— Dieu
garde sa digestion.
— Vous
jurez par Dieu. Jurez-vous aussi par les saints ?
— Oui-da,
par le saint des badauds !
— De
quelle religion êtes-vous ?
— De
la même que la vôtre.
— On
dit que vos Capitaines tiennent pour la peste de l’hérésie.
— C’est
un sot peuple qui dit cela.
Là-dessus,
Cabusse se redressa et cria à tue-tête :
— Bonnes
gens, tirez-vous des pattes de nos chevaux, et ôtez vos mains de nos
selles !
Et
telle est l’autorité d’une taille haute et d’une forte voix sur une foule qu’il
fut aussitôt obéi.
Dès
qu’il eut clos la porte sur ses visiteurs dans l’hôtel de La Boétie, le
lieutenant-criminel entra dans le vif.
— Messieurs,
dit-il, j’ai appris par un espion que Fontenac compte vous surprendre cette
nuit à Taniès. Si vous le désirez, je vous hébergerai dans ma maison des champs
cette nuit, vous et vos hommes, et jusqu’à la vente.
— Je
vous sais un gré infini de votre offre, monsieur de La Boétie, dit Siorac, mais
je ne puis l’accepter. Si Fontenac ne nous trouvait pas à Taniès, Dieu sait
quelle scélérate vengeance il voudrait tirer de mon oncle, de mes deux cousins
et des pauvres villageois !
— Siorac
a raison, dit Sauveterre, sans se piquer de ce que Siorac ait pu parler sans le
consulter.
Il
ajouta :
— Grâce
à vous, monsieur le lieutenant du Roi, ce n’est pas nous qui allons être
surpris cette nuit, c’est Fontenac.
— Il
n’apparaîtra pas dans l’affaire, dit La Boétie. Il est trop rusé pour cela.
— Mais
si nous lui tuons sa bande, dit Siorac, c’est comme si nous lui limions les
crocs !
Taniès,
qui comptait alors une dizaine de familles autour d’un clocher trapu, est
construit sur une colline qui descend par un chemin très abrupt dans les
Beunes. On donne ce nom pluriel à la rivière en raison des biefs qui paraissent
la doubler. On le donne aussi à la petite vallée qu’elle arrose jusqu’au
village des Ayzies. Une route assez bien empierrée court le long de la
rivière : seule voie d’accès pour qui vient du château de Fontenac.
Les
Capitaines, la nuit venue, postèrent Cabusse et les deux fils de l’oncle Siorac
au bas de la colline, car ils supposaient que les assaillants laisseraient là
leurs chevaux pour monter à pied, à pas de loup, la côte très raide et très
pierreuse qui mène au village. Cabusse et ses auxiliaires n’avaient point pour
consigne d’engager les assaillants, mais de les laisser passer, et au premier
coup de feu d’assommer l’homme commis à la garde des montures et de retirer
celles-ci dans une grange que mon oncle possédait dans les Beunes. Ayant fait,
ils devaient revenir attendre ce qui resterait de la troupe pour l’arquebuser
quand ce reste, en refluant, atteindrait le bas de la côte.
Cabusse,
qui me conta l’histoire, car la frérèche n’aimait pas se rincer la bouche de
ses propres exploits, me dit en riant que le plus dur de l’affaire ne fut pas
de livrer bataille, mais de convaincre les villageois d’y participer, tant ils
vivaient dans la terreur de Fontenac. Cependant, quand ils furent décidés, rien
n’arrêta plus leur fureur. Après le combat, ils achevèrent sans merci les
blessés et commencèrent aussitôt à les dépouiller de leurs bottes et de leurs
vêtements, réclamant à hauts cris une part de la picorée, non seulement en
armes,
Weitere Kostenlose Bücher