Fortune De France
l’édit d’Amboise, lui-même
fort restrictif, ne faisaient que s’accuser. En juin, le Roi interdit aux
marchands réformés d’ouvrir boutique les jours de fête de l’Église romaine. En
juin encore, il fit défense aux huguenots de célébrer la Cène partout où se
trouvait le Roi. En août, il défendit aux seigneurs haut-justiciers d’admettre
en leurs châteaux au culte réformé d’autres personnes que leurs vassaux et
serviteurs.
La
frérèche cherchait en vain dans cette attitude ondoyante, dictée, semble-t-il,
par les circonstances, ou la pression des personnes, un principe ferme. Le Roi,
qui avait quatorze ans, mais demeurait plus enfantin que son âge, n’avait
d’autre volonté que celle de la Régente. Et Catherine, petite nièce du Pape
Léon X, avait hérité de lui ses yeux à fleur de tête, son front bombé, et son scepticisme.
Étrangère aux passions religieuses et presque à la foi, elle ne haïssait ni
n’aimait la Réforme – simple pion sur l’échiquier de France, qu’elle
pourrait selon l’heure, le moment, le besoin – garder ou sacrifier.
À
mi-juin, la frérèche eut d’autres raisons de s’affliger. Elle apprit par
courrier que le 27 mai à Genève, Calvin, usé par ses immenses travaux, était
mort. Le réformateur avait changé la face du monde. Par ses lumineux écrits, sa
parole souvent improvisée, mais claire et méditée, la fermeté de sa doctrine,
la droiture de son caractère, l’ardent prosélytisme qui inspirait les
innombrables lettres qu’il écrivait et que personne ne recevait sans en être
profondément touché, l’organisation démocratique qu’il avait donnée aux
églises, les pasteurs inspirés qu’au milieu de toutes ses tâches il avait pris
le temps de former, il avait répandu la Réforme à Genève, à Lausanne, en
France, en Angleterre, en Écosse, dans les Pays-Bas, en Hongrie, et dans le
Palatinat.
« Calvin
est mort, écrivait Sauveterre dans le Livre de raison, mais son œuvre
vivra après lui. » « Je le crois aussi, disait mon père, cependant
nos épreuves ne sont pas derrière, mais devant nous. Dans cette étrange
chevauchée de la Régente et du Roi à travers le royaume, je crois discerner un
amoncellement de nuages qui, un jour, s’en viendra crever sur nos têtes. »
Fin
juin, l’herbe de nos prés étant mûre, et la chaleur menaçant de la sécher trop,
mon père m’envoya au Breuil et à la carrière quérir l’aide de Cabusse et de
Jonas pour les foins le lendemain. J’y allai seul sur ma jument noire, Samson
s’étant froissé la jambe en tombant, la veille, de cheval. Ne trouvant pas
Jonas en sa carrière, je me rabattis sur Cabusse, que j’aperçus, le poil
repoussant en regain sur la blessure de son crâne, en train de dresser une
clôture dans un pré pour non pas être contraint de toujours garder ses brebis.
— Tu
fais des frais, Cabusse, dis-je en riant.
Et
je démontai, laissant libre ma belle Accla.
— C’est
peu de frais, dit Cabusse en arrêtant volontiers sa tâche et en tirant sur sa
moustache. Le bois de mes piquets me vient de mes taillis. En outre, je suis de
nouveau fort à l’aise. Moussu lou Baron m’a baillé trente écus pour
l’expédition de Sarlat.
— Trente
écus ! Fus-tu le seul admis à ces largesses ?
— Nenni.
Moussu le Baron a baillé vingt écus à Jonas. Vingt à Coulondre Bras-de-fer,
vingt à Escorgol, vingt à Benoît Siorac, vingt-cinq à Michel, pour ce qu’il
avait été blessé, mais Michel n’a point voulu plus que son frère, et il a rendu
les cinq écus.
— Et
toi-même, tu en as reçu trente ?
— Cinq
en plus que les autres pour mon navrement, et cinq pour mon commandement.
Je
dis après un moment de silence :
— Cette
picorée m’a travaillé en ma conscience. Car d’où venait-elle, sinon des bourses
des Sarladais, contraints de payer péage au Baron-boucher ?
— Et
qui a délivré les Sarladais des griffes de ce coquin ? dit Cabusse en
levant les sourcils. La picorée est droit de guerre. Et la délivrance de Sarlat
valait bien cette petite taille sur les bourgeois qui sont restés au lit bien
quiets durant que nous combattions.
— C’est
donc ainsi que tu vois les choses, Cabusse ? dis-je, étonné. Et le
dépêchement des blessés ?
— Grande
miséricorde, quand il s’agit de ce gibier. Eussé-je été l’un de ces vaunéants
promis aux derniers supplices, j’aurais payé pour être
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