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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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larges pieds poussiéreux étaient nus, mais sa
tête, en revanche, était couverte d’un chapeau de feutre pointu qu’il ôta dès
que les deux Capitaines apparurent au fenestrou de la tour, au-dessus du
pont-levis.
    — Messieurs
les Capitaines, dit l’homme, je suis le carrier demandé. On me nomme Jonas.
    — C’est
dimanche prochain sur la place de l’église à Sarlat que tu devais te présenter,
dit Sauveterre. Ne pouvais-tu attendre ?
    — Moi,
si, messieurs les Capitaines, dit Jonas. Mais mon grand corps a besoin de pain.
    — Que
fais-tu avec cet arc anglais ?
    — Je
chasse, quand j’ai permission des communes ou des seigneurs.
    — Ne
serais-tu pas quelque peu braconnier ?
    — Pour
sûr que non ! s’écria Jonas. C’est crime capital ! Point ne ferais
cela. Je n’ai qu’un seul cou pour le boire, pour le manger et pour respirer
l’air de Dieu.
    La
frérèche se mit à rire et Siorac poursuivit :
    — Et
qu’est-ce que cette grande caisse que tu portes sur le dos ?
    Jonas,
d’un coup d’épaule, la fit glisser à terre et l’ouvrit.
    — Mes
outils de carrier.
    Il
se redressa et noir de peau, noir de barbe, ses larges mains ouvertes tremblant
légèrement au bout de ses bras musclés, il attendit, l’œil fixé avec anxiété
sur les Capitaines.
    — D’où
viens-tu, Jonas ? dit Sauveterre, et parce qu’il l’avait appelé par son
nom, Jonas regarda Sauveterre avec gratitude.
    — Des
monts d’Auvergne. D’un village qui s’appelle Marcolès. La carrière où je
faisais le carrier est épuisée.
    — Jonas,
dit Siorac, es-tu bon tireur avec cet arc ?
    — Pour
vous servir, messieurs les Capitaines.
    — Pourrais-tu
toucher ce corbeau qui vient faire l’insolent sur la cime de notre noyer ?
    Tournant
son cou à la ronde, Jonas huma l’air et dit :
    — C’est
chose faite, si le vent ne se met pas contre moi !
    Il
saisit son arc par le milieu, encocha une flèche, se campa, banda l’arc jusqu’à
ce que la corde vînt toucher le bout de son nez et la pointe de son menton, et sans
avoir l’air de viser, lâcha les doigts. La flèche siffla et le corbeau tomba,
transpercé, dans un grand bruit d’ailes et de feuilles, jusqu’au sol.
    — C’est
bien tiré, dit Siorac.
    — Les
Anglais, dit Sauveterre, ont conservé à ce jour leurs compagnies d’archers.
Peut-être ont-ils eu raison. Toi et moi, Jean, avons vu plus d’un combat perdu
parce que la pluie avait mouillé les mèches des arquebuses. Jonas,
poursuivit-il, es-tu aussi bon carrier que tu es bon archer ?
    — Ah,
certes ! dit Jonas avec un accent de fierté. Je connais à fond mon métier,
et j’y prends plaisir. Je ne sais pas seulement extraire la pierre, je sais la
tailler en lauzes pour les toitures. Je sais apparier les blocs pour les murs.
Je sais leur donner du biais pour construire le rond des tours. Je sais
préparer au sol les linteaux des portes et des fenêtres, qu’ils soient droits,
en plein cintre ou en anse de panier, toutes les pierres avec les biais qu’il
faut, et la clef de voûte aussi. Je sais faire au sol des fenêtres à meneaux et
à doubles colonnettes avec leur chapiteau. Et s’il faut monter moi-même à
l’échelle sur mes épaules une pierre qui pèse même poids que moi, la disposer
et la sceller à la chaux comme maçon, je sais le faire.
    — Sais-tu
lire et écrire ?
    — Hélas,
non, mais je sais compter, numéroter les pierres, et comprendre un plan s’il
n’y a écrit dessus que les chiffres. Je sais employer une règle, un compas, un
fil à plomb et une équerre.
    Les
deux Capitaines échangèrent un coup d’œil :
    — Jonas,
dit Sauveterre, nous t’engageons à l’essai pendant trois mois. Tu seras logé et
nourri. Au bout de trois mois, si nous te retenons, en plus du pot et du
logement, tu recevras deux sols le jour.
    C’étaient
là des conditions honnêtes pour le temps. Mais trente ans plus tard, le coût de
la vie ayant crû beaucoup  – et le prix de la pierre taillée aussi —
Jonas gagnait toujours ses deux sols par jour, sans espoir d’épuiser la
carrière avant qu’elle ne l’épuisât, et bien content, disait-il, d’employer ses
gros bras pour nourrir son grand corps, alors qu’il y avait dans la province
tant d’ouvriers désoccupés.
    — Messieurs
les Capitaines, reprit Jonas, avant de venir sous Mespech, j’ai fait un détour
pour voir votre carrière. Si le bois et le champ qui sont dessus sont à

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