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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dans ses bras, de la petite
Hélix, sa fille, trottinant dans sa jupe, et de Cabusse en armes, car ni épouse
ni enfants n’ont le droit de sortir de Mespech sans escorte. Plus tard, quand
ces consignes se furent relâchées, j’ai joué avec la petite Hélix dans le champ
des maraudeurs. Ces pauvres gueux, qui avaient eu si faim de leur vivant, ont
bien engraissé la terre après leur mort. Car maintenant, l’herbe y pousse dru,
et aussi, au printemps, une merveilleuse floraison de jonquilles d’un jaune
éclatant, mais que personne n’ose cueillir. On dit, dans le pays, que la fleur,
quand elle est coupée, pousse un gémissement, et quiconque, homme ou garce,
entend ce cri est condamné à manquer de pain pour le reste de sa vie.
    Un
an après l’achat de Mespech, mon père épousa Isabelle de Caumont, dont les yeux
bleus, les cheveux blonds et la médaille avaient fait sur lui une si vive
impression, quand il visita Castelnau, pour la première fois, avec Sauveterre.
Isabelle était alors dans ses années les plus vertes, atteignant tout juste
quinze ans, « la taille faite au tour, la charnure ferme et succulente, la
jambe haute, le pied petit ». Cette description est de mon père et je la
lis à la première page de son Livre de raison qu’il commença le jour de
son mariage, le 16 septembre 1546. Il note encore qu’il a trente-deux ans, et
que son épouse a quinze ans, qu’elle est douce, saine de corps, de fort
plaisante compagnie, d’humeur gaie et constante, bien que parfois un peu
opiniâtre, et bonne chrétienne malgré son penchant à l’idolâtrie. « Les
noces, les habillements, les dons au clergé, les libéralités aux pauvres et les
deux repas coûtèrent  – je le lis à la suite — 500 livres tournois, somme
modeste, remarque mon père, selon l’us de la noblesse d’alors. À quoi
Sauveterre, de sa petite écriture en pattes de mouche, remarque en marge :
« C’est encore trop. Cinq cents livres, c’est le prix d’une belle pièce de
labour. »
    Non
point que la frérèche, en cette occasion, se divisât. Se trouvant trop avancé
en âge pour convoler, Jean de Sauveterre trouvait bon que Jean de Siorac fît
souche, afin que sur cette branche-là, du moins, la frérèche bourgeonnât et
fleurît en enfants à qui Mespech serait légué. Mais la médaille d’Isabelle le
dérangeait quelque peu, et aussi l’intrusion, d’un seul coup, de tant de femmes
à Mespech, puisque avec Isabelle vint sa femme de chambre Cathau et, un an plus
tard, la nourrice Barberine, et avec Barberine, sa fille, la petite Hélix,
qu’elle nourrit en même temps que le premier de ma mère, mon aîné, François de
Siorac.
    Mais
Sauveterre, qui était si ménager des biens de la frérèche et si désireux de les
accroître, ne pouvait du moins se plaindre qu’Isabelle de Caumont fût entrée
nue à Mespech. Car outre ses alliances avec la noblesse du Périgord, elle y
apportait deux mille écus, un beau bois de châtaigniers, un pré d’une taille à
nourrir deux ou trois vaches au bord de la route qui menait aux Ayzies, et
au-dessous, une fort belle carrière en pierre ocre du pays, d’exploitation
facile et à trois lieues à peine de Mespech.
    La
frérèche, qui faisait flèche de tout bois, car elle vendait à bon prix et à bon
moment ce qu’elle avait en plus : grain, foin, laine, miel, huile de noix,
chair de porc ou hongre de deux ans, voulut tirer profit de cette carrière en
un temps où les bourgeois, comme les seigneurs, bâtissaient beaucoup aux champs,
tant pour la montre que pour l’agrément.
    Le
dimanche qui suivit les noces, les Capitaines firent savoir à Sarlat à son de
tambour et de trompe, que s’il se trouvait un bon carrier en la ville ou aux
alentours, qu’il eût à se présenter aux Capitaines le dimanche suivant, sur la
place de l’église. Mais dès le lendemain, apparut au pied du premier
pont-levis, sous la petite tour ronde de l’île, un gaillard barbu, de haute
taille et de forte carrure. Sa chemise de grosse toile de lin serrée à la
ceinture laissait voir une toison épaisse et noire et ses chausses étaient
liées aux chevilles et aux genoux par des lanières de cuir. Il était fort
encombré, portant en bandoulière un grand arc anglais, et, attachés à sa
ceinture, une large écuelle, un grand coutelas et un carquois de flèches. En
outre, appuyée sur son épaule droite, une forte courroie soutenait sur son dos
une grande boîte en bois. Ses

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