Fortune De France
bénédictions qui pourraient remplir sa
« corbeille et sa huche », conçut par chance ou inspiration un projet
plus profitable.
Sauveterre,
un samedi, faisait son marché à Sarlat, quand il aperçut sur la place de
l’église, claudiquant devant lui, un petit homme noiraud portant une boîte sur
le dos.
— Adieu
l’ami ! dit Sauveterre, du ton brusque qui sentait son capitaine, et
pourtant cordial. Où as-tu attrapé ta boiterie ?
Le
petit noiraud se retourna, considéra Sauveterre et après un temps de réflexion,
posa sa boîte sur le pavé et tira son bonnet.
— Je
ne l’ai pas attrapée, Moussu. C’est elle qui m’a attrapé, et elle courait vite,
à Cérisole, la balle qui me l’a baillée !
— À
Cérisole ? Tu étais donc soldat ?
— Arquebusier
dans la légion de Guyenne.
— Qui
commandait à Cérisole ?
Cette
question était un piège, mais le soldat y répondit bien.
— Enghien.
— Ton
capitaine t’a-t-il donné décharge de tes bons services ?
— Oui-da,
Moussu. Elle est dans ma boîte. La voulez-vous lire ?
— Soldat,
dit Sauveterre, tu ne devrais pas être si prompt à montrer ta décharge. Elle
pourrait t’être volée !
— Moussu,
vous n’avez pas l’apparence du premier venu, ni le visage d’un larron.
— Je
suis le capitaine de Sauveterre de la légion de Normandie. Et j’ai attrapé ma
boiterie en même lieu et le même jour que toi.
Le
soldat béa de stupeur, et tout aussitôt, de joie, tant cette rencontre lui
paraissait de merveilleux augure.
— Et
que fais-tu ici, soldat ? dit Sauveterre.
— Je
cherche à me louer comme tonnelier. On me nomme Faujanet. J’ai vingt-neuf ans.
Et
ouvrant sa boîte à outils, il en tira un tonnelet de trois pouces de haut, mais
en tout point semblable à un tonneau de vin, avec ses cercles et sa bonde. Il
le tendit à Sauveterre.
— Voilà
mon œuvre, monsieur le capitaine. Et ce que j’ai fait ici en petit, je peux le
refaire en grand.
Sauveterre,
non sans plaisir, tourna et retourna dans sa main le tonnelet.
— Faujanet,
dit-il (il prononçait, à notre mode périgordine : Faujanette), voilà du
travail finement fait, et qui parle en ta faveur. Mais c’est du châtaignier, et
non du chêne.
— On
ne fait plus les tonneaux avec du bois de chêne, dit Faujanet. Les vignerons
n’en veulent plus. Ils tiennent qu’il donne du goût au vin.
Sauveterre
regarda longuement Faujanet, qui retenait son souffle et avalait sa salive,
tant le moment lui paraissait grave. Car il était désoccupé depuis deux mois,
et à jeun depuis la veille, n’ayant mangé l’avant-veille qu’une écuellée de
soupe à huile et une poignée de fèves données par la charité municipale :
générosité qui ne serait pas renouvelée, on le lui avait bien dit, et son
permis de circuler dans les rues de Sarlat expirant le lendemain dimanche, à
midi.
Avec
prudence, avec lenteur, Sauveterre examinait le tonnelier, sa carrure, ses
bras, son visage, son cou robuste, la franchise du regard.
— Voyons
ta décharge, dit-il.
Faujanet
fouilla dans sa boîte et tendit le papier d’une main tremblante. Sauveterre le
déplia et le lut, le sourcil attentif.
— Faujanet,
as-tu reçu un secours des Consuls de Sarlat ?
— Oui-da,
monsieur le Capitaine, avant-hier, en montrant ma décharge.
— Et
de l’Évêché ?
— Pas
un croûton.
— Tu
connais le proverbe, mon pauvre Faujanet, dit Sauveterre en baissant quelque
peu la voix : « Moines et poux ne sont jamais rassasiés. Tout leur
est bon, même le croûton. »
— Ah,
certes ! dit Faujanet. Vous avez bien raison. De ces gens-là, la gueule en
tue plus que l’épée !
Sauveterre
rit, rendit la décharge à Faujanet, et Faujanet sentit qu’il avait la partie
gagnée. Son cœur bondit de joie et tout d’un coup il sentit sa faim davantage.
— Mes
châtaigniers sont encore sur pied, Faujanet, dit Sauveterre ; saurais-tu
faire aussi le bûcheron et le scieur de long ?
— Avec
de l’aide, oui.
— Trois
mois à l’essai, avec le pot et le logement, et par la suite, deux sols le jour.
Tope ?
— Tope,
monsieur le Capitaine.
— Cabusse !
appela Sauveterre, et Cabusse apparut au pas de course, grand et large, son
visage coloré barré d’une moustache terrible.
— Cabusse,
voilà Faujanet, ancien soldat de la légion de Guyenne. Il sera notre tonnelier.
Amène-le à notre charrette, et attendez-moi.
Cabusse,
qui
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