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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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la ruse
et le mensonge : Au Diable, la nourriture du Diable... »
    Et
chaque dimanche, tandis que le curé de Marcuays officiait au rez-de-chaussée de
la tour est devant Isabelle de Siorac et nos gens  – au premier étage, où
par le conduit dans le mur, la messe, psalmodiée en latin, devait monter
jusqu’au cabinet attenant à la chambre de Sauveterre, les deux frères, sourds à
ce qui leur venait d’en bas, chantaient à voix basse les psaumes de David.
    Au
milieu des bénédictions évidentes que le Seigneur faisait pleuvoir sur Mespech,
se mêlaient bien quelques afflictions et entre autres la mort en bas âge de
trois enfants, que je vois mentionnée sur le Livre de raison. Mais je me
garderai de penser que ce fut là le châtiment d’En Haut. Car il n’était pas de
famille en France qui ne fût, en ce siècle, ainsi endeuillée, et certaines de
bien plus de la moitié des enfants qu’elles avaient apportés au monde.
    Je
lis, quelques mois avant ma naissance, sur le Livre de raison de mon
père, des notes répétées de Sauveterre : « Je prie pour toi,
Jean », qui ne laissèrent pas de m’intriguer d’abord, d’autant que mon
père n’y répondait jamais. De quel mal Jean de Siorac était-il atteint pour que
son frère priât tant pour lui, éprouvât le besoin de l’écrire si souvent, et de
quelle ingratitude mon père était-il tout d’un coup saisi pour ne jamais
remercier Sauveterre de ses oraisons ?
    Je
dois dire ici ce que je devinai à peine, en mes jeunes ans, et compris bien
plus tard. Entre mon père et ma mère, presque depuis le premier jour de leur
mariage, se livrait une petite guerre de religion qui, tantôt sourde, tantôt
ouverte, connaissait peu de répit. Car Isabelle non seulement ne consentit
jamais à renier le culte de ses pères, mais forte des engagements imprudents de
Jean de Siorac avant de passer devant l’autel, elle entendit élever ses enfants
dans les rites catholiques. Quand mon tour fut venu de naître, mon père voulait
pour moi un prénom biblique. Isabelle s’y refusa avec opiniâtreté et à peine
avais-je poussé mon premier cri dans cette vallée de larmes que, mandant le
curé par Barberine, elle me fit incontinent baptiser, et en bravade de son
mari, me prénomma malicieusement Pierre, pour ce que, sur cette pierre, on
avait bâti son Église.
    Peut-être
avait-elle d’autres raisons de montrer tant de furieux dépit, car une semaine
après moi, naquit d’une fille de Taniès un enfant de sexe mâle, que Jean de
Siorac prénomma Samson, disant qu’avec la grâce de Dieu il serait plus grand et
plus fort qu’aucun de ses enfants baptisés selon le rite papiste. Ce qui fut
vrai quant à mon aîné François, mais non pour moi.
    La
mère de mon demi-frère Samson était une pastourelle, Jehanne Masure, belle et
bonne fille selon la nourrice Barberine, mais dont les parents qui ménageaient
une petite terre étaient fort pauvres, si j’en crois tous les prêts en grain,
en foin, en chair salée et en argent qui lui furent consentis par Jean de
Siorac à partir du moment, précisément, où Jean de Sauveterre commença à prier
pour lui dans les marges du Livre de raison. En feuilletant le livre, et
les prêts se multipliant les années de disette, je trouve, en face de la
mention qui en est faite, une question assez pointue de Sauveterre :
« Remboursable quand ? » À quoi mon père répond invariablement
en dessous : « À ma volonté. » Mais la volonté s’abstint, car
les prêts continuent, sur des mois et des années, scrupuleusement notés et
jamais repayés.
    Quelques
pages plus loin, en face de la mention d’un prêt plus élevé, Sauveterre
écrit : « N’est-ce pas une honte ? » À quoi, impatienté,
Siorac réplique : « Jacob connut Lia, puis il connut Rachel et les
servantes de ses épouses, et de là sortit plus belle et plus forte race
d’Hébreux qui vécût jamais sur terre pour honorer le Seigneur. Ne serait-ce pas
une honte, si je laissais mon fils Samson courir pieds nus, dépenaillé et le
ventre creux, comme un loup ? Soyez sûr que le moment venu de l’instruire,
Samson vivra à Mespech avec ses frères. »
    Mais
Samson y vint plus tôt que prévu, car en novembre 1554  – il avait trois
ans, comme moi-même  – la peste fut signalée à Taniès, ce qu’oyant mon
père, faisant seller sur l’heure son cheval, galopa jusqu’à la maison de
Jehanne, lui apportant de quoi subsister pour un

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