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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mois, le village étant sur le
point d’être clôturé tout le temps que la maladie ferait rage. Jehanne supplia
alors mon père de prendre avec lui le petit Samson, ce qu’il fit, brûlant à
l’arrivée à Mespech tous ses vêtements, lavant l’enfant à l’eau chaude après
l’avoir frotté de cendres et ayant coupé ses cheveux.
    Là-dessus
il y eut, fomentée peut-être par la mercuriale de ma mère, une grande émotion
parmi nos gens contre l’intrus qui « apportait la contagion ». Mais
mon père y coupa court, s’isolant avec lui dans la tour ouest et le nourrissant
de ses mains, pendant quarante jours, sans sortir lui-même de la tour plus loin
que le seuil où vivres et livres lui étaient, sur son ordre, déposés.
    Quand
Jean de Siorac émergea enfin de sa réclusion, ce fut pour apprendre que Jehanne
Masure était morte, ainsi que tous les siens, la peste ayant tué la moitié du
village, y compris l’oncle Raymond Siorac, mais épargnant ses deux fils  –
ceux qui, à la veille de l’achat de Mespech, avaient aidé Cabusse à exterminer
les gueux de Fontenac dans les Beunes.
    Samson,
sortant lui aussi de la tour, apparut alors aux yeux de Mespech, bel et fort
enfant, dont les cheveux repoussaient drus et bouclés et tiraient sur le blond
roux comme ceux du grand-père Charles.
    J’avais
son âge, sa taille, et je l’aimai dès que je le vis. La seule chose qui me
fâchât, mais non contre lui, c’est que Samson eut d’emblée le privilège d’aller
« ouïr la messe » avec la frérèche dans le cabinet de Sauveterre,
alors que je restais au rez-de chaussée dans la chapelle, avec François, à
entendre psalmodier le latin, accroché aux jupes de Barberine et n’ayant
d’autres ressources que de faire des grimaces à la petite Hélix qui, malgré ses
sept ans, me les rendait bien, en cachette de sa mère, et plusieurs années plus
tard, en riait encore avec moi, grande friponne qu’elle était, comme la suite
bien le montra.
    L’aimable
pastourelle n’était plus, mais son fruit brillait dans les murs de Mespech,
plus beau et plus rutilant, avec son teint de lait et ses cheveux de cuivre,
que fut jamais fils du péché. Chaque jour que Dieu faisait, et que le Diable,
pour la punition de mon père, défaisait, Siorac voyait battre ses remparts par
le flot des piques conjugales. Il confie à son Livre de raison, à cette
occasion, une citation mélancolique de la Bible : « Une femme
querelleuse et un jour de pluie sont semblables. » Il ajoute un peu plus
loin : « Les cheveux d’une femme sont longs, mais plus longue encore
est sa langue. » Et deux pages plus loin, le catholicisme d’Isabelle lui
remontant aux lèvres : « Ah, l’opiniâtreté de la femme ! Ce
maudit aposthume de sa volonté que rien n’a jamais pu crever ! Et son
funestre attachement aux erreurs ! » À ceci, Sauveterre ajoute en
marge, substituant comme souvent le vous cérémonieux au tu fraternel : « N’aurait-il pas été plus sage d’épouser une femme qui fût
de votre opinion ? Bien qu’il ait été dessous et non dessus, le sein
vous a caché la médaille. » Vieux grief qui resurgit à cette occasion,
accablant mon père sur sa gauche, comme il l’était déjà sur sa dextre, et pas
très probant non plus, puisqu’on peut douter qu’une épouse huguenote eût été
plus traitable en pareille circonstance.
    Il
faut se donner peine pour boire de l’eau vive, et en dépit des traverses et des
grognes, Samson, malgré tout, était là, beau et fort, portant à trois le nombre
des fils sur lesquels l’œil de Siorac aimait se poser à table.
    Le
ruisseau ruisselle dans la rivière, et tout engraisse la prospérité, y compris
le malheur des autres. La peste, en emportant la moitié des familles de Taniès,
avait laissé vacantes beaucoup de terres, que la frérèche racheta à bon prix.
Quel héritier eût voulu, selon les superstitions populaires, vivre dans un
village où la maladie pouvait se rallumer un jour ou l’autre de l’infection du
sol et des vapeurs mortelles qui s’en dégageaient ? Pour moins de trois
mille livres, Mespech, par morceaux, s’accrut ainsi de moitié sur le coteau de
Taniès, en particulier de bois de châtaigniers, non de petite fûtaie, mais de
beaux arbres adultes qui se pouvaient aussitôt couper pour la charpente ou la
menuiserie, et rembourser d’un coup le double du prix d’achat. Mais la
frérèche, à l’affût de toutes les

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