Fortune De France
un
élément nouveau : Philippe II était l’époux de la Reine d’Angleterre,
Marie Tudor : la France aurait, cette fois-ci, à faire face à deux
puissants royaumes et à se battre sur toutes ses frontières.
Or,
le Roi inclinait à suivre Guise, parce que, étant grand jouteur, il aimait la
guerre que son peu d’imagination réduisait à un superbe tournoi entre deux
souverains, dont chacun devait, en rompant sa lance, ébranler l’autre et lui
faire vider l’étrier. Mon père remarque à ce propos que, dans sa précédente
guerre contre Charles Quint, le Roi ne sut rien faire de son armée de
50 000 hommes, sauf la faire manœuvrer en grande parade, oriflammes et
fanfares, devant le camp de l’Empereur à Valenciennes. L’armée de celui-ci
n’étant pas sortie de ses lignes, le Roi considéra que Charles Quint n’avait
pas relevé le défi, et devait en conséquence se considérer comme vaincu, selon
les règles de la chevalerie. Il battit alors lui-même en retraite, sans tirer
une arquebusade, mais en ravageant le pays qu’il traversait, qu’il fût ami ou
ennemi.
En
cette année 1557, la frérèche craignait le pire pour le royaume, et ce pire, en
effet, de nouveau arriva quand Henri II, déchirant sans provocation la
trêve de Vaucelles, déclara la guerre à l’Espagne, le 31 janvier, et quand
Marie Tudor déclara à son tour la guerre à Henri II, le 7 juin de la même
année.
Le
royaume fut envahi par le nord. Une puissante armée, réunie aux Pays-Bas, vint
mettre le siège devant Saint-Quentin, tandis que Guise guerroyait sans succès
contre les possessions de Philippe II en Italie. Saint-Quentin était
défendu admirablement par Coligny avec une poignée d’hommes, mais Montmorency,
lui venant porter secours avec l’armée royale, la fit sottement et
désastreusement écraser en voulant traverser la Somme. Le royaume tomba alors
en grand péril. La route de Paris était ouverte, et déjà les Parisiens
commençaient à plier bagage.
Cependant,
Coligny, à mille contre un, résistait toujours dans Saint-Quentin, et sa
résistance acharnée donna le temps à Henri II de rappeler Guise d’Italie
et de convoquer le ban et l’arrière-ban de la noblesse. En même temps, à la
demande des Princes luthériens allemands, dont il recherchait l’alliance,
Henri II modéra, sans les suspendre tout à fait, les exécutions des
réformés.
Les
huguenots ne furent pas dupes de cette demi-clémence. Ils savaient que, la
guerre à peine finie, les supplices reprendraient ; et que peu
importeraient alors les services qu’ils auraient rendus à la patrie. Mais les
épreuves avaient mûri leur réflexion, et mieux que la majorité des Français,
ils savaient faire la différence entre le Roi et le royaume. On pouvait haïr le
Roi, mépriser sa cruauté et souhaiter sa mort, mais le royaume devait être
défendu à tout prix contre les tyrannies étrangères.
Le
Périgord était à quinze ou vingt jours de cheval de Paris, et d’aucuns, même
des plus nobles, répugnaient à quitter leurs splendides châteaux – avec
tous les risques que leur absence faisait courir à leurs possessions –,
pour aller récolter, si loin dans le Nord, blessures et navrements. D’autres,
plus jeunes, mais pauvres comme gueux dans leur manoir délabré, aspiraient au
contraire à l’aventure, à la gloire, à la picorée et au joyeux forcement des
filles dans le sac des villes.
Par
ressentiment contre François I er qui avait banni son père, Bertrand
de Fontenac, alors âgé de vingt-sept ans, fit savoir qu’il était trop débile en
sa santé pour répondre à l’appel d’Henri II. Mais peu de nobles huguenots
– ou se cachant à peine de l’être – se dérobèrent à la levée. Jean
de Siorac, en accord avec son frère bien-aimé, et bien qu’ils fussent tous deux
au désespoir de se séparer (ce qu’ils n’avaient pas fait depuis vingt et un
ans), décida incontinent de s’armer en guerre et de prendre la route avec
Cabusse, Marsal et Coulondre. Sauveterre, que sa boiterie retenait à Mespech,
assumerait en son absence le ménage, le commandement et la défense du domaine.
CHAPITRE III
J’avais
six ans quand mon père partit de Mespech pour la guerre. La veille de son
départ, au soir tombant, dans la cour du château, les trois soldats préparaient
la charrette que la petite troupe emportait avec elle, et tant qu’on n’y mit
que l’avoine pour nourrir les cinq
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