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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dépassait Faujanet d’une tête, le regarda clopiner à ses côtés en fendant
la foule du marché.
    — Ça
nous fera donc deux boiteux à Mespech, dit-il. Deux boiteux et un bras de fer.
    — Un
bras de fer ?
    — Coulondre.
Il a un crochet à la place de la main gauche. C’est Siorac qui le lui a payé.
    Il
débarrassa Faujanet de sa boîte et le fit monter à côté de lui sur le siège de
la charrette. Quand il fut assis, Cabusse prit dans un sac un morceau de pain
et un oignon et, le couteau en main, se mit à manger avec lenteur, muet, l’œil
fixé sur les oreilles du cheval. Faujanet avala sa salive.
    Au
bout d’un moment, sentant sur lui le regard de Faujanet, Cabusse se retourna
vers lui et le considéra.
    — Tu
as donc faim ?
    — Oui-da.
    — Tu
as une langue, soldat ! Il fallait le dire !
    Cabusse
coupa son pain et son oignon, et tendit les deux moitiés à Faujanet. Celui-ci
les reçut avec une telle avidité qu’il oublia de dire merci.
    — Ne
faut point manger si vite sur une panse vide, dit Cabusse. Ou alors, tu la
gonfles et le foie t’éclate.
    — Tu
as raison, dit Faujanet ; mais il ne réussit pas à faire des bouchées
moins grosses ni à les avaler moins vite. Quand il eut fini, Cabusse lui tendit
une gourde.
    — Tu
as enfourné trop vite. Faut maintenant que la piquette te délaye un peu le
manger, si tu ne veux pas mourir d’une obstruction des boyaux.
    Faujanet
but aussi vite qu’il avait mangé, puis il se redressa, carra les épaules,
gonfla sa poitrine, et du haut du siège de la charrette, il regarda le marché
grouiller au-dessous de lui, comme un nageur qui vient d’émerger d’une mer où
il allait se noyer. Écarquillant ses gros yeux, il enveloppa du regard le
cheval, sa croupe robuste, Cabusse et sa forte trogne, la bonne, neuve et
solide charrette sur laquelle il était assis, et il jetait autour de lui, de
haut en bas, des regards fiers. Il appartenait maintenant au monde des gens
heureux : celui qui mange.
    — Comment
est le maître ? dit-il à Cabusse à voix basse.
    — Nous
n’avons pas de maître, dit Cabusse. Nous avons deux Capitaines. Nous, c’est
Coulondre, dit Bras-de-fer, Marsal le Bigle et moi. Nous sommes des anciens de la
légion de Normandie.
    — Comment
sont les Capitaines ? dit Faujanet.
    Cabusse
jeta un regard à la ronde.
    — Ils
ne payent pas plus que d’autres, dit-il. Et pour le travail, durs à eux-mêmes
et durs aux gens. Mais ce n’est pas une maison où le maître mange un beau pain
de froment et les domestiques du pain d’orge, infect et pâteux. Nous mangeons
tous à la table des Capitaines, nourris comme eux.
    — Voilà
qui va bien, dit Faujanet en se passant la langue sur les lèvres.
    — Voilà
qui va bien pour la panse, dit Cabusse, mais non pour les libertés. Tu ne dis
pas ce que tu veux à la table des Capitaines. Et tu ne fais pas non plus ce que
tu veux. Les Capitaines ont l’œil à la paillardise.
    — Oh,
pour ça ! dit Faujanet. La beauté se lèche, mais ne se mange pas.
    — Il
n’y a pas que la faim du ventre, dit Cabusse. Il y a l’autre. Et c’est trop
brider la pauvre bête. Pas un mot galant à la chambrière, pas un pinçon non
plus, et si tu trébuches sur la nourrice, tu reçois ton congé ! Tant est
pourtant que tu ne te ferais aucun mal en tombant sur elle. Hélas, on a beau
dire, souris qui n’a qu’un trou est vite prise, mais c’est point vrai à
Mespech ! ajouta-t-il avec un sourire.
    — Et
comment est l’autre capitaine ? dit Faujanet en s’abstenant de toute
remarque et sans même oser sourire.
    — L’un
vaut l’autre, dit Cabusse, côté travail. Mais côté que je dis, l’autre serait
un peu plus coulant. Il est marié, et il a trois enfants. Non, quatre,
corrigea-t-il avec un sourire et en clignant de l’œil.
     
     
    Cinq
ans plus tard, tant elles étaient bellement faites, on trouvait dans tout le
Salardais et jusqu’à Périgueux les barriques de Mespech. À ceux de la noblesse
qui sourcillaient à ce commerce, la frérèche répondait que mieux valait
s’enrichir en vendant tonneaux et pierres taillées que par vol et brigandage
comme d’aucuns Barons. D’ailleurs, les Capitaines ne hantaient pas les fêtes
coûteuses des châteaux, s’excusant chaque fois sur la boiterie de Sauveterre,
mais en réalité, regardant à la dépense qu’il y aurait à rendre à tant de gens.
Ils invitaient, pourtant, mais en petit nombre, et à dîner, et

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