Fortune De France
chevaux, la farine, le sel, la chair salée
et les noix pour les cavaliers, les sacs et les tentes pour le bivouac, les
enfants purent silence garder. Mais quand on apporta les armes et les
cuirasses, l’intérêt aussitôt s’éveilla.
— Qu’est-ce
que ce casque à oreillères ? dit François mon aîné.
— Une
bourguignotte, dit Cabusse.
— Et
ce casque relevé des deux bords ?
— Un
morion.
Des
trois soldats, comme je l’ai noté, Cabusse était le seul parleur. Mais il y
avait deux raisons à cela : Coulondre Bras-de-fer économisait tout jusqu’à
ses paroles, et Marsal le Bigle était bègue.
— Et
ça ? dis-je.
— Petit
sot, dit François en faisant l’aîné, c’est une cotte de mailles.
— Et
ça ? dit mon demi-frère Samson.
— C’est
une cuirasse, dit François.
— Non
point, dit Cabusse. C’est un corselet. Ça ne protège que le torse et le dos.
— Cabusse,
dis-je, est-ce que le corselet protège d’une arquebusade ?
— Hé...
hé... hé... las, dit Marsal, en me regardant avec tristesse de ses yeux bigles.
— Messieurs,
dit Cabusse, si je vous dis le nom des bâtons à feu, irez-vous au lit ?
On
se regarda, assez dépité, mais François, toujours du parti le plus sage, dit
d’un air important :
— C’est
entendu, Cabusse.
— Eh
bien, dit Cabusse, ça...
— C’est
une arquebuse, dit François.
— À
mèche ou à rouet ? dit Cabusse en se lissant la moustache.
— À
rouet.
— Non,
Moussu, dit Cabusse, à mèche. Mais la mèche n’y est point. Et voici une
pistole. C’est une petite arquebuse. Elle a un avantage, on ne la tire que
d’une main. Et voilà un pistolet : c’est une petite pistole. Et voici un
poitrinaire, qu’on tire de la poitrine, non de l’épaule.
— Voilà
de fières armes ! dis-je. Et qui vont occire beaucoup d’ennemis !
— L’ennemi
a les mêmes, dit Coulondre.
Il
avait, comme à son ordinaire, l’air lugubre, à la différence de Cabusse, qui
sifflotait, fort content, semblait-il, à la pensée de courir du pays et de se
débrider.
Barberine
nous appela tous dans la maison, soldats compris, et en courant, Samson et moi
en tête, les enfants atteignirent la grande salle où mon père et Sauveterre se
tenaient debout, tournant le dos à la cheminée, l’air grave, ma mère à l’autre
bout de la table, entre Cathau, la chambrière, et Barberine, portant dans ses
bras ma petite sœur Catherine, alors âgée de deux ans.
Entre
les deux groupes, et de chaque côté de la table, vinrent prendre place, sans
s’asseoir davantage, les trois soldats, les deux cousins Siorac de Taniès, le
carrier Jonas qui, pendant l’absence de mon père, devaient tous trois loger à
Mespech pour fortifier sa défense.
À
la droite de mon père s’agitait un petit homme, habillé de noir des pieds à la
tête, avec une énorme fraise blanche qui faisait paraître plus petite une tête
d’oiseau déplumé, dont le nez mince était recourbé comme un bec, et dont les
yeux ronds d’un noir de jais étaient fixés sur mon père.
Celui-ci
restait tout à fait silencieux, et comme il ne nous donnait aucun ordre, les
enfants se glissaient comme ils pouvaient dans les intervalles laissés libres
par les adultes, François à la droite de Sauveterre, Samson à la gauche de
Jonas, et moi-même à la droite de mon père.
François
et Geoffroy de Caumont arrivèrent enfin et, avec un temps de retard, Faujanet,
qui avait dû attacher leurs chevaux, après avoir abaissé devant eux les
ponts-levis. Il y eut entre les frères et les nouveaux arrivants quelques
embrassades, mais empreintes d’une gravité qui, je ne sais pourquoi, me fit
grande impression. Je remarquai que Geoffroy de Caumont se contenta de faire de
loin un signe amical à sa cousine Isabelle, mais sans faire le tour de la table
pour venir la saluer.
— Monsieur
le notaire Ricou, dit Jean de Siorac en s’adressant au petit homme au bec
d’oiseau, l’affaire étant pressante et devant se passer en présence de MM.
François et Geoffroy de Caumont, de ma femme Isabelle, de mes enfants, de mes
cousins Siorac et de tout mon domestique, j’ai pris la liberté de vous mettre
dans l’incommodité de venir jusqu’à Mespech, à charge pour moi de vous faire
raccompagner à Sarlat par mes soldats.
Il
fit une pause pour embrasser l’assistance du regard.
— Monsieur
Ricou, reprit-il, va vous lire le codicille que M. de Sauveterre et
Weitere Kostenlose Bücher