Fortune De France
leur
faisait honneur, comme si rien que leur nom était déjà un mérite :
« Ah ! mes cousins Siorac ! Ah, mon pauvre Faujanet ! Ah,
Jonas ! Ah, mon pauvre ! »
— Mais
où sont donc mes droles ? poursuivit-il en jetant autour de lui un regard
étonné. Que ne sont-ils déjà là ? Restent-ils à paresser dans leur lit
quand leur père revient de guerre ?
Siégeant
en tribunal avec Sauveterre dans le cabinet où la frérèche était censée, le
dimanche, ouïr la messe et sans que ma mère fût invitée à siéger avec eux (car
on pouvait soupçonner qu’elle était, dans l’affaire, juge et partie, et qu’une
expression comme ce fils de vachère avait pu tomber de ses lèvres dans
l’oreille de François), mon père reçut en audience ses fils l’un après l’autre,
à Samson, reprochant son vol ; à moi-même, ma violence ; à François,
ses insultes. Mais de ces trois harangues, la seule qu’il jugea utile de
consigner dans son Livre de raison, pour l’édification des intéressés et
de ceux qui viendraient après eux à Mespech, fut celle qu’il adressa à l’aîné.
— Mon
fils, bien que vous ayez de l’esprit, vous avez agi dans cette affaire comme un
grand fol, et c’est justice si votre orgueil a été abaissé. Votre droit
d’aînesse n’est pas fondé sur l’équité, mais sur la nécessité de ne pas
affaiblir le domaine en le partageant. Il ne vous confère aucun autre droit. En
humiliant Pierre, en le traitant en valet, en lui faisant honte de son futur métier,
vous avez ajouté l’injustice à l’injustice. La conséquence, vous la connaissez.
Quant à Samson, en prononçant à son endroit les paroles que vous savez, vous
m’avez grandement offensé. Pensez-y. Je ne voudrais pas l’être deux fois. Les
mots dont vous avez usé ne doivent plus passer vos lèvres si vous tenez à mon
affection. La mère de Samson est morte. Vous n’avez donc pas à vous demander
qui elle était, mais seulement à vous rappeler qui est le père de Samson, et à
honorer son fils à l’égal de vous-même. Souvenez-vous-en, je vous en prie.
Je
suppose que le Baron de Mespech, en le transcrivant, a quelque peu arrangé son
discours, car dans l’ordinaire de sa vie, sa langue n’était pas si latine. Mais
pour moi, ce document m’est cher, car il mit un terme à la subordination où mon
aîné tâchait de m’enfermer, et établit ouvertement Samson dans des droits égaux
à ses frères. Quant à la « violence » qui me fut alors reprochée,
même ce jour d’hui, je tiens qu’elle fut aussi juste et utile que celle d’un
barbier qui, de son couteau, crève un aposthume dont le pus accumulé s’écoule.
La
triple punition fut levée, non sans une cérémonie, inspirée à nos Capitaines
par le souvenir des arrangements auxquels on recourait dans les armées pour
empêcher les duels. Nous fûmes, sous leurs auspices, tous les trois confrontés,
et appelés à nous faire des excuses réciproques en protestant de l’amour que
nous nourrissions l’un pour l’autre. Je fis avec beaucoup d’effort ce qu’on
exigea de moi, et François sans effort aucun, tant il coulait facilement son
caractère dans les moules qu’on lui imposait. L’honneur d’un chacun réparé, on
passa aux embrassades qui, comme les sceaux à la dernière page d’un traité,
mettaient fin d’ordinaire à ce genre de querelle. François dut baiser sur les
joues ses cadets et à voir la grâce qu’il y mit, sa figure longue et correcte
brillant de componction, vous eussiez juré qu’il le faisait de bon cœur.
Ce
jour-là, et les jours suivants, et toute l’année de mes sept ans, j’ouïs avec
délices de la bouche de mon père et de celle de ses soldats les récits de la
prise de Calais, et comment nous avions chassé les derniers Anglais hors du
pays. Il semblait que ce fût un grand avancement de la fortune de France que la
prise de ce port que les Anglais, depuis la guerre de Cent Ans, avaient fait
leur, gardant par là les clefs du royaume et pouvant y déverser à leur guise
leurs armées. Aussi tenaient-ils Calais pour un joyau plus cher que tous ceux
de leur couronne et ils avaient tant et tant fortifié la ville après l’avoir
peuplée de bons sujets de leur roi, qu’ils la tenaient pour imprenable et
qu’ils avaient inscrit sur une des portes qui la fermaient :
Français prendront Calais
Quand le plomb nagera sur l’eau
Comme liège.
Vanterie
qui prouve bien
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