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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sans perfidie. « Ma tante ! dit ma
mère avec un rire furieux. Une belle tante que j’aurais là ! Une
effrontée ! Une ingrate ! Une ribaude qui ne sait même pas me
coiffer ! — Une ribaude, Madame ! dit Cathau en se redressant.
Mais je suis pucelle ! » Et sachant bien où piquer ma mère, elle
ajouta : « Et si vous en voulez la preuve, demandez à M. de Siorac,
qui est médecin, de m’examiner ! — Moi ! hurla ma mère, demander
à M. de Siorac de mettre le doigt où je ne voudrais même pas mettre le bout de
ma canne ! »
    — Madame,
dit mon père en pénétrant avec brusquerie dans l’appartement d’Isabelle, le
sourcil froncé et l’œil sévère : Ou bien vous chassez sur l’heure votre
chambrière, ou bien vous vous accommodez d’elle. Mais pour l’amour du Ciel,
cessez toutes deux de vous picanier, et surtout cessez ces cris ! Tout le
domestique est dans la cour à écouter vos chamailleries et à se gausser. Et
quant à moi, je suis fort tympanisé de vos hurlements.
    Si
ma mère avait été moins entichée de sa noblesse ancienne (mais Raoul de
Castelnau revenait souvent en ses discours), elle eût reconnu qu’étant
orpheline et ayant trouvé peu d’affection chez Mme de Caumont, elle s’était
attachée à Cathau comme à une sœur cadette. Mais elle se refusait à avouer un
sentiment aussi tendre pour une « fille de rien », lui en voulait de
l’aimer, et la rabattait sans cesse, ce que Cathau, de son côté, ne supportait
pas, admirant sa maîtresse, et la copiant en tout, au point de se croire un peu
noble, elle aussi. C’est pourquoi leurs querelles avaient un air de comédie,
car les menaces de congédiement ne pouvaient en aucun cas être suivies d’effet,
le lien réel entre les deux femmes étant tout autre que le lien apparent.
    On
le vit bien quand Cathau quitta Mespech. Ce furent des larmes, des soupirs, des
embrassades à l’infini, et chez ma mère un désespoir et une mélancolie dont
elle mit de longs mois à se remettre, alors même que Cathau et son mari (et
Jonas) déjeunaient à notre table chaque dimanche, et qu’Isabelle allait voir sa
chambrière chez elle au Breuil deux fois la semaine, et toujours sous escorte,
les chemins étant si peu sûrs. La frérèche maugréait de cette escorte qui ôtait
deux hommes au travail pour un après-midi, surtout l’été, quand il y avait tant
à faire sur le domaine. Mais mon père, qui s’inquiétait du grand abattement de
ma mère, alors enceinte, cédait toujours.
    Cathau
fut remplacée par Franchou, cousine des Siorac du côté maternel, belle fille
plantureuse et placide dont les yeux de vache, fixés dans le vide, ruminaient
sans fin un rêve paisible. Comme chambrière, elle ne valait pas Cathau, certes,
et on le lui disait assez. Mais elle était si humble et si soumise qu’avec elle
pas de querelle possible. « Oui, Madame. Bien, Madame. Comme Madame
voudra. Il est vrai, je suis bien sotte. Je demande bien pardon à Madame.
Madame a bien raison : je ne sais rien faire. On peut dire que Madame a
bien de la patience avec moi » — phrase dont mon père riait aux
éclats chaque fois qu’il l’entendait.
    Quelques
semaines après le retour de mon père, Isabelle de Siorac conçut, et dès qu’elle
en eut la certitude, Barberine quitta Mespech le jour même pour aller se faire
faire un enfant au plus vite par son mari, puisqu’il était entendu qu’elle
nourrirait celui de ma mère. Quand on s’y arrête et quand on y pense un peu,
c’est un bien étrange état que celui de nourrice, ses grossesses étant régies
par celles de sa maîtresse. Le reste du temps, éloignée de son époux, Barberine
devait rester aussi chaste que Jonas dans sa grotte, car il eût été désastreux,
en son office, d’avoir du lait à contretemps, et d’être tarie quand il en
fallait.
    Je
fus bien marri de l’absence de Barberine et je regrettai ses baisers du soir,
ses gros tétons chaleureux et les infinies gentillesses qu’elle répandait
équitablement sur nous avant de monter dans son lit.
    La
petite Hélix, qui trompait les deux Jean par l’apparence de raison et de
sagesse qu’elle donnait, fut commise à notre garde dans la tour. Et ma mère, le
premier soir, prit la peine  – précédée de Franchou portant un calel
 – de gravir l’étroit escalier à vis qui montait jusqu’à nous et de surgir
parmi nous dans ses beaux atours, sa fraise et ses bijoux, belle comme une
reine, et

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