Fortune De France
quatre gouttes d’encre. »
Henri II
n’avait eu, en fait, que deux pensées : faire la paix à tout prix pour
frapper à nouveau les huguenots, et libérer Montmorency prisonnier des
Espagnols. Dans son aveuglement, il rendait sans combattre à
Emmanuel-Philibert, lieutenant général de Philippe II, le Bugey, la Bresse
et la Savoie, et lui offrait, en plus, la main de Marguerite de France, fille
de François I er . « Sire, lui dit M. de Vieilleville,
gouverneur de l’Ile-de-France, ce qui me dragonne l’âme, c’est que vous ayez
fait cette immense libéralité au lieutenant général de votre naturel et mortel
ennemi le Roi d’Espagne, qui sera, par le moyen de ce voisinage, quand il lui
plaira, aux portes de la ville de Lyon, laquelle auparavant était quasi au
milieu de votre royaume, et est maintenant devenue votre frontière. » Mais
rien n’y fit, et hors Calais, on rendit tout, et encore le Piémont, et pour
sceller ce mauvais traité, Philippe II, qui venait de perdre sa Reine
anglaise, épousait Elizabeth, fille d’Henri II. Par ce mariage et celui de
la sœur du Roi avec le Duc de Savoie, nos ennemis d’hier devenaient nos alliés.
Le
Roi n’avait mis tant de hâte à faire la paix que pour tourner ses armes contre
ceux de ses sujets qui n’avaient pas la même façon que lui d’adorer le
Seigneur. L’encre du traité à peine sèche, il frappa aussitôt, et à la tête.
Le
Parlement de Paris était réuni depuis la fin avril pour arrêter son attitude à
l’égard des protestants que d’aucuns dans son sein entendaient protéger contre
les persécutions, les uns parce qu’ayant à cœur l’indépendance du royaume, ils
étaient hostiles à l’influence du Pape et de l’Espagne, et les autres parce
qu’ils étaient eux-mêmes gagnés à la Réforme. Le 10 juin, le Roi entra dans la
salle où siégeait la Cour et ordonna que la délibération se poursuivît en sa
présence.
Les
Conseillers ne se laissèrent pas intimider. Viole et Du Faur demandèrent qu’on
suspendît les poursuites contre les réformés et qu’on réunît un concile. Anne
de Bourg, s’élevant contre les supplices, s’écria : « Ce n’est pas
chose de petite conséquence que de condamner ceux qui, au milieu des flammes,
invoquent le nom de Jésus Christ. »
Henri II
était peu accessible aux idées, et encore moins aux idées nouvelles. Il écouta
avec stupeur les orateurs et, se levant brusquement, il ordonna leur
arrestation. C’était là non seulement un coup d’État sans précédent dans
l’histoire du Parlement, mais la preuve aussi que désormais on n’épargnerait
personne, quelle que fut sa dignité ou sa qualité. En ruinant de ses mains
l’autorité d’un grand corps, le Roi enterrait la légalité du royaume et prenait
la tête de l’Inquisition. Dans son entourage, on agitait le projet, pour en
finir avec l’hérésie, de mettre les réformés hors la loi, ce qui eût permis au
populaire de les tuer impunément et, morts, de les dépouiller.
Ces
nouvelles parvinrent à Mespech le 30 juin.
— Voyez
où nous en serions aujourd’hui, mon frère, si je vous avais écouté, dit mon
père à Sauveterre. Je pourrais vous nommer dix seigneurs en Périgord, sans
compter Fontenac, qui seraient aujourd’hui heureux de se liguer pour dépecer Mespech,
si nous leur en avions fourni l’occasion.
— Quand
on sert Dieu et Dieu seul, répliqua Sauveterre, il faut se fier à Sa
providence. Israël a subi des persécutions sans nombre, mais le Seigneur, pour
finir, a toujours puni ses ennemis.
À
l’instant où Sauveterre prononçait ces paroles, Henri II, le matin même
plus sain et plus gaillard qu’aucun homme en France, agonisait dans de
mortelles douleurs, un tronçon de lance lui ayant perforé l’œil gauche au cours
d’une joute.
On
avait, pour la circonstance, dépavé la rue Saint-Antoine devant l’hôtel des
Tournelles, afin que les chevaux pussent galoper sur le sable et que les chutes
des jouteurs fussent moins rudes. Henri II, en tant que tenant, devait
courir trois courses, et ses assaillants une seule. Henri II se prépara
avec beaucoup de soin à ce qui était pour lui la grande affaire de sa vie, car
il aimait à la passion tous les exercices corporels, et il attachait plus de
prix à l’honneur de faire branler sur sa selle son adversaire qu’à l’avantage
de conserver une province à son royaume. Et quand le premier
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